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André, Bénit, Légendes, intrigues et médisances autour des « archidupes ». Charlotte de Saxe-Cobourg-Gotha, princesse de Belgique, Maximilien de Habsbourg, archiduc d’Autriche, (Bruxelles, Peter Lang, 2020), 438 p.

Francis Balace

Le futur acheteur, et peut-être lecteur, de cette œuvre pensera peut-être, en découvrant ce volume sur les étagères des librairies, avoir devant lui un des innombrables ouvrages consacrés à « l’aventure mexicaine » et aux destins tragiques de deux protagonistes qui en furent surtout les victimes. Erreur, car il faut consulter la page interne de titre pour découvrir la précision qu’il s’agit de « Récits historique et fictionnel » appartenant bien plus au domaine de l’histoire littéraire qu’à celui de l’Histoire tout court.
Le titre lui-même est assurément anti-historique, et l’erreur est répétée dans tout le volume. Charlotte ne porta jamais le nom de Saxe-Cobourg-Gotha. Ce n’est qu’en 1826 que, par un échange de territoires entre le duché de Saxe-Cobourg-Saalfeld et celui de Saxe-Gotha-Altenburg, ces deux petits Etats membres de la Confédération Germanique deviendront respectivement Saxe-Cobourg-Gotha et Saxe-Altenburg. Ne seront donc Saxe-Cobourg-Gotha que les ducs régnants Ernest I et Ernest II et leurs successeurs en ligne collatérale, provenant de la descendance de la Reine Victoria et du Prince Albert.

Nous voulons bien croire, comme l’affirme la quatrième de couverture, que le sujet est « particulièrement original » puisqu’il cherche et recense, dans l’abondante production historique, les sources d’œuvres romanesques ou théâtrales. La longue litanie des interrogations posées aux ouvrages historiques et à leur répercussion dans des œuvres littéraires est un véritable – et très complet, reconnaissons-en le mérite à l’auteur – catalogue des poncifs ou « tartes à la crème » issus du prurit, de la démangeaison de publications que le sort des « archidupes » entretient depuis leur double fin tragique. Rien ne manque à ce véritable inventaire à la Prévert de questions, dont on n’a malheureusement jamais de tentative de réponses étançonnées par des sources crédibles : Maximilien est-il le fils du duc de Reichstadt et de l’archiduchesse Sophie, ce qui expliquerait la rancœur ou l’envie de son demi-frère François-Joseph envers lui ? Le mariage avec Charlotte serait-il resté stérile par homosexualité, suite d’une MST pour l’époux ou « étroitesse » de la princesse belge ? La décision d’adopter, après l’avoir enlevé à sa famille, le petit-fils de l’éphémère empereur Iturbide, était-elle un constat d’échec du couple ou un palliatif purement politique, voulant les « ancrer » dans le passé mexicain ? Les amours ancillaires de Maximilien avec la « femme du jardinier de Cuernavaca » ont-elles eu des résultats, comme ce mystérieux espion des Puissances Centrales, fusillé par les Français en 1917 ? Le Colonel Lopez était-il l’archétype du traître odieux ou aurait-il été utilisé par Maximilien pour trouver, en se faisant capturer sans s’être rendu, une issue « honorable » au siège de Queretaro en espérant in petto la clémence de Juarez ? Et, bien entendu, l’inévitable question : de qui le général Weygand était-il le fils ?

La structure de chaque chapitre se divise en deux parties, ce que disent les historiens d’une part, de l’autre ce que l’on retrouve de leurs écrits et de l’influence de ces derniers dans les œuvres de fiction. Est-il besoin de devoir hélas constater combien nombreuses sont les répétitions et les citations redondantes à propos des mêmes faits ? Ces lassantes répétitions sont encore accentuées par l’adoption du système de référence oxonien qui « casse » littéralement la fluidité de l’écriture et ralentit la lecture au point de la rendre rebutante.

On pourrait aussi s’étonner, si l’on ne se souvenait d’avoir affaire à un travail d’histoire littéraire et non d’histoire, de l’absence d’une réflexion critique sur les sources utilisées par ces historiens « influenceurs » de la production fictionnelle. Il est évident que ces historiens n’ont pas, pour reprendre une expression sans doute trop familière, « sucé de leur pouce » ce qu’ils ont écrit. Prenons quelques exemples : le comte Egon César Corti, spécialiste de l’aventure mexicaine et de la montée en puissance des Cobourg sur l’échiquier européen, a puisé abondamment dans le « Fonds Miramar » de la Wiener Haus-, Hof- und Staatsarchiv, dans lequel André Bénit aurait pu trouver quelques documents très éclairants sur les rapports entre le couple Charlotte-Maximilien et leur père et beau-père Léopold Ier. De même, les archives royales du château de Windsor renferment la correspondance abondante de Léopold Ier avec sa nièce Victoria et des jugements sur Max « no chin at all, though with arrangement de barbe… », que l’on retrouve sans citation de leur source dans diverses descriptions de l’archiduc par les historiens et littérateurs ultérieurs. On ne voit pas pourquoi l’auteur, p. 420, accuse Patrick Weber, qui est un historien vulgarisateur honorable et non un « romancier » (sic), d’avoir ajouté des « éléments de son cru » (resic) à propos de la folie feinte de Charlotte reléguée à Bouchout, à la suite de son utilisation des propos tenus par l’Impératrice à la reine Elisabeth, dont on ignore la référence. Or, dans une interview télévisée diffusée à plusieurs reprises par la RTBF la reine Marie-José, qui accompagnait souvent ses parents lors de visites à Charlotte, avait déclaré « au fond, elle n’était pas si folle que ça ».

Dans la sempiternelle et habituelle interrogation sur les origines supposées du général Maxime Weygand, l’auteur reprend une fois encore la « piste van der Smissen » en insistant sur la ressemblance physique « à l’indienne » entre l’officier belge et le futur généralissime français. Une photographie célèbre, source de la rumeur, montre un van der Smissen en tenue de campagne, cuit et recuit par le soleil mexicain, amaigri par les fatigues de la guerre dans les « Terres Chaudes ». Si l’on utilise au contraire une photographie de sa fin de carrière en lieutenant-général belge, une parenté entre ce colosse aux larges épaules, devenu ventripotent, et le général français à l’allure de jockey, n’est nullement évidente. En outre, citer longuement et utiliser l’ouvrage de Janine Lambotte, aimable speakerine de TV transformée d’un coup de baguette magique en historienne, pour laisser entendre que van der Smissen s’était suicidé par remords de sa répression sanglante des émeutes de 1886, est faire bon marché de l’ouvrage déjà ancien, mais fondamental de Louis Leconte Les deux généraux van der Smissen qui établit nettement que l’intéressé se suicida par crainte de la déchéance physique due à l’âge après avoir dû être aidé pour s’extirper d’un fauteuil lors d’une visite au ministère de la Guerre, et qu’avant le suicide il alla présenter une dernière fois ses « hommages » à la dame de ses pensées.

C’est donc souvent un manque de critique historique élémentaire qui ne permet pas à l’auteur d’évacuer certains récits fictionnels. A quoi bon décrire par le menu, chez les historiens et chez les littérateurs, les circonstances de l’exécution de Maximilien et le fameux coup de grâce qui, tiré de trop près, aurait mis le feu à ses vêtements ? De là à écrire p. 346 que, selon Paul Mourousy, l’Empereur du Mexique en eut « le visage calciné » est faire bon marché de la photographie de Maximilien dans son cercueil, le visage intact, exposée au Musée Royal de l’Armée à Bruxelles (et souvent reproduite). D’ailleurs, p. 357, lors du rapatriement du corps à Vienne, l’archiduchesse Sophie découvre « le visage cireux » de son fils.

Ce qui déçoit quelque peu, c’est la part très restreinte du livre consacrée à la princesse désormais recluse et à ses délires érotico-masochistes dans ses lettres à propos du très fantasmé officier français Loysel. Cette correspondance à sens unique n’a été connue qu’en 1995 par l’édition qu’en fit Laurence van Ypersele dans son Une Impératrice dans la nuit. Elle a suscité deux ouvrages d’analyse psychiatrique, celui du Dr. Emile Meurice en 2005 et celui de Coralie Vankerkhoven en 2012, mais quatre œuvres de fiction seulement (Isaure de Saint Pierre¸ Michel Peyramaure, Blanche Coudurier, Michèle Fabien) en dépit des perspectives très nouvelles offertes par la découverte et l’édition de ces documents très révélateurs. On comprend mieux la postface rédigée par Marc Quaghebeur puisqu’il a été le premier à étudier le thème et son influence chez un auteur comme Robert Goffin, à la puissante imagination, et à avoir signalé à la dramaturge Michèle Fabien les documents édités par Laurence van Ypersele. En revanche, nous ne voyons pas pourquoi André Bénit, qui doit avoir un compte à régler avec Patrick Weber, en fait une nouvelle fois un « romancier » à propos de son livre de 2011 L’Empire de la folie et lui reproche de n’avoir fait aucune allusion à ces lettres de Charlotte, ajoutant un peu perfidement « allégeance monarchique oblige ? »

Bref, si vous voulez connaître les moindres détails de ce qui continue à faire couler, à bon comme à mauvais escient, des flots d’encre depuis 1927 (une sorte d’omerta ayant été brisée par la mort de Charlotte et l’ouverture des archives viennoises par la chute de l’Empire des Habsbourg), le livre d’André Bénit vous dispensera de consulter une longue série d’ouvrages historiques ou para-historiques et d’évoquer des thématiques qui ont toujours eu plus de succès dans le domaine romanesque que dans celui de l’histoire, grande ou petite, mais restée sérieuse.

Francis BALACE

- Francis Balace