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Godart, Gauthier, L’asile en procès. Le scandale d’Evere (1871-1872) et la prise en charge de la folie en Belgique (Louvain-la-Neuve : Presse universitaire de Louvain, 2019), 208 p.

Sophie Richelle, ULB

L’ouvrage de Gauthier Godart revient sur un procès de 1872 faisant suite au scandale de l’affaire d’Evere. Cette affaire concerne « la maison de santé d’Evere », une institution psychiatrique privée et non religieuse de la deuxième moitié du 19e siècle. En cause, sa mauvaise gestion et les mauvais traitements subis par les aliénés y séjournant.

L’ouvrage se compose de trois parties. Le premier chapitre plante tout d’abord le décor et situe l’évolution de l’établissement dans son histoire propre et plus largement dans le cadre du régime des aliénés dicté par la loi du 18 juin 1850. Il présente ensuite le « feuilleton judiciaire » qui y prend place à partir de 1871. D’un procureur du roi investi et minutieux, à une première affaire d’un pensionnaire maltraité, jusqu’à un double homicide de pensionnaires par un troisième aliéné, l’enquête de l’affaire d’Evere s’ouvre en 1871.

Le deuxième chapitre nous donne à voir un « instantané » de l’institution. Il s’agit donc moins de l’enquête elle-même que de ce qu’elle laisse et donne à voir du quotidien d’un établissement psychiatrique privé de la seconde moitié du 19e siècle. Plus spécifiquement comme le précise l’auteur, et au vu de la source principale de sa recherche – le dossier d’instruction de l’affaire – il s’agit là d’un « archétype de l’asile défectueux », n’empêchant pas pour autant, selon lui, de dénicher le banal au milieu du scandale.
On peut cependant resté quelque peu sur sa faim concernant les aspects matériels de la vie institutionnelle. Malgré des titres prometteurs, les contenus de la première partie du chapitre sont en effet très généraux et restent cantonnés aux informations, maigres, du dossier d’instruction. De même, les trois expériences vécues des pensionnaires clôturant le chapitre, se limitent à de longues citations d’archives du dossier d’instruction, au demeurant fort intéressantes, mais on en voudrait plus, avant, pendant, après ; plus de contextualisations et de liens entre ces trajectoires, l’en dehors et l’en-dedans de l’asile.
La description des acteurs institutionnels – médecins, directeurs et personnel subalterne – nous parait par contre, un réel apport à l’histoire de la psychiatrie. De fait, il s’intéresse à des acteurs connus mais sous une forme nouvelle, riche de concret, de contextes et d’implications. L’auteur donne ainsi corps, voix et gestes aux impressions trop générales que laissent souvent les archives administratives des institutions. De fait, la difficulté, voire l’impossibilité (financière, numéraire, professionnelle), d’accomplir les tâches règlementaires pour les gardiens et médecins est connue. Toutefois, on ne mesure pas toujours les impacts concrets de cette configuration, principalement sur les internés, ce que le récit de Gauthier Godart nous permet avec brio.

Le troisième chapitre nous emmène au cœur du procès pour comprendre « la manière dont cette affaire se mue progressivement en un scandale retentissant » et finalement, l’impact de celui-ci sur la nouvelle loi concernant les aliénées en 1873. L’auteur passe tout d’abord en revue les témoins appelés, les défenses des différents accusés, le rôle et la stratégie du procureur ainsi que le jugement et les recours en appel y faisant suite. Dans un deuxième temps, Gauthier Godart s’intéresse aux suites législative de cette affaire. Il souligne le rôle important de la presse qui « construit » le scandale par ses nouvelles méthodes d’investigations propres, interpellant de ce fait les autorités centrales. En croisant l’affaire avec les Bulletins de la Société de médecine mentale de Belgique, l’auteur donne à voir la position et la possible influence que les aliénistes, dans une conquête et une recherche de légitimation professionnelle, ont pu avoir sur le nouveau projet de loi concernant le régime des aliénés en Belgique. Finalement, en recourant aux annales et documents parlementaires, Godart montre comment le projet de la loi résulte d’un mélange entre les revendications médicales des experts et les joutes politiques entre parlementaires libéraux et catholiques. Il ne perd toutefois pas de vue l’influence qu’a pu avoir l’affaire d’Evere, à laquelle les discussions sur le projet de loi font directement référence. Le nombre maximum de cellule notamment est diminué de même que la tenue du registre de séquestration est plus strictement encadrée. Ces mesures veulent prévenir l’utilisation punitive abusive de l’encellulement dont les cas ont été largement démontrés dans l’affaire d’Evere.

Les détails d’un dessin de l’asile, illustrations en pleine page en ouverture de chaque chapitre, nous invitent à tourner les pages pour en découvrir les dessous. Ces représentations en morceau comme les pièces d’un puzzle sont à l’image de l’honnêteté du récit et de son auteur qui reconnait le morcellement incontournable de la recherche historique. Par ce livre et avec une plume claire et précise, Gauthier Godart nous donne à lire une écriture limpide. Il nous invite dans les dessous d’une affaire judiciaire mais surtout, dans ce qu’elle révèle de l’histoire d’une psychiatrie ordinaire. La clarté de son récit est d’autant plus remarquable quand on connait la complexité des enchevêtrements des débats législatifs et des procédures judiciaires. Si l’on peut regretter que cette histoire de la psychiatrie ordinaire ne soit pas étoffée des archives de l’institution, à l’exception des registres aux matricules et médicaux, au demeurant peut-être inexistantes, il s’agit là également d’un parti pris tout à fait défendable : que nous racontent les archives judiciaires sur l’histoire de la psychiatrie ? Un apport majeur de son ouvrage constitue d’ailleurs la mise en lumière de l’histoire d’un établissement privé non religieux, établissements pour lesquels l’absence d’archives est criant. Au-delà de la psychiatrie, Gauthier Godart nous donne un aperçu de la fabrique législative et de ce qui participe à la fabrication d’un projet de loi. L’intérêt des aliénés n’en est pas absent, au vu notamment de la place de leurs témoignages durant le procès que l’auteur met en lumière, mais il se mêle aux velléités professionnelles des aliénistes comme aux enjeux politiques belges des années 1870.

- Sophie Richelle