Le blog Cultuurgeschiedenis du groupe de recherche en histoire culturelle de la KU Leuven
Geneviève Warland, UCLouvain
L’histoire en ligne destinée à un large public est vivace et adopte des formes multiples : des notices Wikipédia qui restent en tête du référencement aux différentes encyclopédies en ligne produites entre autres par des institutions scientifiques et aux expositions virtuelles créées par les musées, mais aussi par des centres d’archives ou des institutions de recherche à des fins non seulement communicationnelles mais aussi pédagogiques. Ce vaste ensemble comprend encore des formes qui se situent entre le dialogique et le scientifique : tels les blogs et les chaînes Youtube qui prennent de plus en plus d’ampleur.
Sans retracer ici de panorama général de l’envol de l’histoire sur la toile, comme l’a fait Guillaume Blondeau dans son article sur la plateforme Belgium WWII dans cette même rubrique1, cet article se focalisera sur ce moyen particulier de communiquer qu’est le blog et analysera en particulier le blog Cultuurgeschiedenis créé en 2013 par le groupe de recherche Cultuurgeschiedenis vanaf 1750 du département d’histoire de la KU Leuven. La rédactrice en chef actuelle qui en assure la gestion est Jolien Gijbels, doctorante, et la diffusion auprès des réseaux sociaux est réalisée par Linde Tuybens, assistante.
L’activité de blogeur suggère que la généralisation d’Internet n’a pas représenté la fin de l’écrit, et cela quoique les modalités d’écriture s’en sont vues transformées : percutante et concise sont, à mon sens, ses deux principales caractéristiques dans un monde de clics où la lecture d’une page ne dure pas plus que quelques minutes. Un blog est, pour reprendre la définition de Wikipédia, « un type de site web — ou une partie d’un site web — utilisé pour la publication périodique et régulière d’articles personnels, généralement succincts, rendant compte d’une actualité autour d’un sujet donné ou d’une profession. À la manière d’un journal intime, ces articles ou « billets » sont typiquement datés, signés et présentés dans un ordre antéchronologique, c’est-à-dire du plus récent au plus ancien »2.
La vitalité de la communication par les blogs est démontrée par le site Écrire pour le Web : l’historique de cette forme de communication sur Internet indique qu’en 2006, il y avait dans le monde plus de 50 millions de blogs et en 2013 environ 200 millions, toutes catégories confondues3. Une telle explosion s’explique notamment par l’arrivée dans le grand public de logiciels gratuits de création de blogs tels que Wordpress (créé en 2003). Mais elle signale aussi que toute personne, institution ou entreprise pense ne plus pouvoir exister sans et en dehors du Net aujourd’hui. Par le recours à l’écrit et l’intégration éventuelle de moyens de diffusion multimédia, les blogs ou carnets relèvent d’une communication (assez) élaborée. C’est encore davantage le cas quand ils sont issus des milieux universitaires.
La blogosphère académique en sciences humaines et sociales et celle des historiens en particulier
Qu’en est-il plus particulièrement des blogs émanant des universités et groupes de recherche ? Dans le monde francophone, une vaste plateforme héberge les blogs de départements universitaires, de groupes et de réseaux de recherche : Hypotheses.org 4. Fondé en 2009, cette plateforme académique de carnets de recherche en sciences humaines et sociales en abrite aujourd’hui plusieurs milliers, en français et dans d’autres langues dont les plus représentées (comme l’allemand, l’anglais et l’espagnol) bénéficient d’une navigation et d’une valorisation spécifiques. Afin de renforcer son impact et le confort de ses utilisateurs, elle est intégrée à un portail plus vaste, OpenEdition, qui se présente comme une infrastructure d’édition électronique au service de la diffusion des publications en sciences humaines et sociales comprenant une plateforme de revues, une plateforme de livres et un calendrier en ligne5. La panoplie des thématiques représentées y est large, la conception des carnets variée et la fréquence des publications variable. C’est cette plateforme que les historiens de l’UCLouvain ont choisie pour y créer leur blog LouvanHist, qui présente les membres de la Commission de programme Histoire, et y tenir un carnet où sont régulièrement postés des billets relatifs aux activités d’enseignement et de recherche6. Ce carnet peut être qualifié de mixte : les informations de natures diverses sont postées selon le canevas antéchronologique et les catégories du site renvoient aux personnes et aux réseaux et groupes de recherche et non pas à des thématiques : avec le temps, les billets à contenu sont camouflés dans l’arborescence du site !
À l’inverse, le carnet de recherches Cultuurgeschiedenis, qui n’est pas hébergé sur Hypotheses.org mais dispose de son propre site7, se situe intégralement dans la lignée des blogs thématiques centrés sur la vulgarisation scientifique pour prendre un terme devenu un peu désuet, autrement dit la communication vers une large audience. Il se veut l’émanation des projets du groupe de recherches en histoire culturelle de la KU Leuven, mais il accueille également des contributeurs externes, généralement néerlandophones étant donné son ancrage institutionnel et la langue utilisée qui est le néerlandais. Le référencement de son site web est excellent : Cultuurgeschiedenis apparaît en tête de la recherche par Google, juste après la notice Wikipédia en néerlandais consacrée à ce type d’histoire…
Cultuurgeschiedenis : clarté et rigueur de la communication scientifique
La structure du site repose sur une organisation à la fois thématique et chronologique. La bande située en-dessous du titre du blog (lequel se dégage d’un fond renvoyant au vivant par la représentation d’un organisme et par celle d’un astre entouré de son halo) inclut les catégories suivantes : Home ou Accueil qui présente les derniers articles ; Lichaam & wetenschap (Corps et science) ; Historische cultuur & herinnering (Culture historique et mémoire) ; Mentaliteiten & gevoelens (Mentalités et émotions) ; Over qui indique les objectifs de ce site et renvoie à ses créateurs ; Volgen qui mentionne les canaux (réseaux sociaux et email) via lesquels on peut se tenir au courant des publications sur Cultuurgeschiedenis.
L’espace central où se trouve le texte et les images des billets de blog a un fond blanc, lequel permet de mieux faire ressortir les caractères de même que les hyperliens utilisés pour les informations sur les contributeurs.
À l’instar de tous les sites de blogs, la possibilité est offerte de donner un commentaire sur chaque billet ou de réagir de manière générale sur le site, comme cela est le cas dans les catégories Over et Volgen.
L’espace inférieur sur fond noir de la page d’accueil du site est composé de trois colonnes : les Archives (Archief) sous forme de liste mensuelle depuis 2013, les Catégories (Categorieën) qui renvoient aux trois principales mentionnées dans le bandeau de présentation supérieur et qui en contiennent d’autres, secondaires, lesquelles permettent un classement thématique plus précis des articles et participent à la vie du site. Il s’agit de la catégorie Arts et littérature (Kunst & Literatuur) qui reprend quelques articles relatifs à cette thématique et des catégories Listes (Lijsten) qui regroupent les blogs tenus pendant les mois d’été avec des sujets de circonstance appréhendés par la lorgnette de l’histoire (lieux touristiques, conseils aux vacanciers et voyageurs …), En général (Algemeen), une forme de chronique comprenant diverses nouvelles, Fragments (Brokstukken) offrant un ensemble de brèves compositions réflexives autour d’un tableau, d’une photo, d’une page de journal, d’un objet. La dernière colonne, Meta concerne les métadonnées du site et son utilisation interne.
Cultuurgeschiedenis : une communication scientifique couronnée
Par ce qui vient d’être dit, on constate déjà que Cultuurgeschiedenis est un site sans chichi et sachlich comme on dirait en allemand, autrement dit professionnel. Ce professionnalisme (lié à la qualité des contenus que je présenterai ci-dessous) lui a d’ailleurs valu la remise d’un prix de communication scientifique en 2015 : le Jaarprijs Wetenschapscommunicatie, délivré par la Koninklijke Vlaamse Academie van Belgïe voor Wetenschappen en Kunsten 8.
Cultuurgeschiedenis : Wordpress et des billets en forme !
Le CMS utilisé pour la création du blog Cultuurgeschiedenis est le logiciel en ligne gratuit et le plus répandu pour la création de sites internet et de blogs : Wordpress, plus particulièrement la version 5.2.2, qui offre toutes les possibilités pour une présentation à la fois claire, aérée et structurée9. Il permet d’associer le texte et les images, ces dernières servant d’accroche aux articles qui en contiennent assez souvent d’autres dans le corps du texte. Les intertitres en rouge en facilitent la lecture, la compréhension et l’assimilation : la navigation linéaire impose de la concision, chaque partie introduite par un intertitre ne pouvant contenir que quelques paragraphes afin d’arriver à la visualiser en une page d’écran. La structure des articles de blogs toutes catégories confondues lesquels partent toujours d’une image ou en insèrent découle d’un souhait manifeste de mettre en valeur des archives ou des contenus iconographiques peu connus. Cela dit, toutes les images ne sont pas munies de légendes, en particulier les illustrations d’appel, ni de l’indication de la source. On en déduit que la moisson a dû être réalisée sur Internet pour un certain nombre d’entre elles et qu’elles sont issues de banques de données iconographiques libres de droits. Enfin, des vidéos extraites principalement de Youtube sont intégrées à certains articles, lorsque le sujet l’exige tel que pour les billets portant sur la musique10 !
La longueur des articles est fort variable : elle se situe entre environ 400 mots pour les plus courts et environ 1500 mots pour les plus longs11. Une tendance générale se signale toutefois : les textes se sont allongés par rapport aux productions initiales. Ils comptent autour de 1000 mots, mais les consignes ne semblent pas fort strictes à cet égard, le nombre de mots restant somme toute assez variable.
Sur le plan formel, il appert qu’un canevas vient d’être adopté pour les articles de blogs : depuis juin 2019, les intertitres sont accompagnés de numéros (de 1 à 4, 5, 6, 7). Un changement plus ancien concerne les indications bibliographiques dont tous les textes sont munis depuis plusieurs années ; cela n’était pas le cas pour les premières publications datant de 2013 et de 2014 où les orientations bibliographiques n’étaient pas systématiques.
Une autre particularité de forme vient de ce que chaque billet est doté d’une structure narrative commune : un fil narratif avec une bonne accroche et une fin réussie ; un titre suggestif. Tel est, en effet, le défi de la communication « grand public » : choix des mots ; syntaxe adaptée ; économie du texte et parfois un brin de suspense pour soutenir l’attention jusqu’au bout.
Cultuurgeschiedenis : des contenus originaux et variés
Si les premiers billets consistaient essentiellement en critiques de livres, de films, de pièces de théâtres, de billets de réflexion et d’opinion relatifs à des lieux de mémoire, à des expositions ou à la lecture d’un livre et mêlant le passé et le présent, les articles ont pris rapidement (dès 2014) des contours plus scientifiques en lien avec les projets de recherche des membres du groupe de recherche en histoire de la KU Leuven ou des carnetiers hôtes. Néanmoins, la spécificité des billets réside en ce qu’ils se focalisent sur un événement particulier dont ils mettent en évidence la portée générale. Deux exemples : Hoe de eerste dinomanie begon dankzij een diner in een dinosaurus, billet du 28 novembre 2018, aborde la reconstruction d’un parc à dinosaures par la Crystal Palace Company dans le Sud de Londres à la suite de la fermeture de la première exposition universelle en 1851. Il montre ce faisant que l’engouement pour les dinosaures ne date pas du film Jurassic Park. Le billet du 31 janvier 2019, Wat je altijd al hebt willen weten over wondontsmetting, explique la découverte d’une méthode de désinfection pendant la Première guerre mondiale permettant d’éviter la gangrène et, par conséquent, l’amputation du membre blessé. La méthode Carrel-Dakin fit ses preuves à l’hôpital du docteur Depage à La Panne et par la suite, mais est progressivement abandonnée aujourd’hui en raison des effets irritants du chlore. Il s’agit de deux exemples parmi les nombreux autres thèmes d’histoire culturelle abordés qui vont du Moyen-âge à l’époque (très) contemporaine, des rites funéraires au folklore contemporain en passant par nombre de sujets insolites liées notamment à l’histoire des sciences : la pratique des recensions anonymes d’ouvrages scientifiques aux 18e et 19e siècles, la présence tolérée ou interdite de femmes dans les salles de lecture des archives en Belgique et aux Pays-Bas au 19e siècle…
Cultuurgeschiedenis : une bonne cadence !
En ce qui concerne la fréquence de publication, elle est d’un à plusieurs articles par mois, toutes catégories confondues. Il apparaît que la première catégorie sur l’histoire de la médecine et des représentations liées au corps et au psychique est la plus dynamique actuellement, la dernière catégorie Mentalités et Émotions n’ayant plus publié depuis janvier 2018 ; la catégorie intermédiaire Culture historique et mémoire a vu son dernier article publié en mars 2019. En outre, ces deux dernières catégories, dont la fréquence n’est pas ou plus mensuelle, accueillent de nombreux bloggeurs externes à la KU Leuven. Ces deux derniers éléments – fréquence et nombre de gastbloggers par catégorie – révèlent l’évolution des centres d’intérêt du groupe de recherche sur l’histoire culturelle de la KU Leuven vers l’histoire des sciences, dans ses pratiques et ses représentations. Ils montrent aussi la difficulté potentielle à maintenir le blog en activité : en effet, les billets qui forment en quelque sorte la vitrine des thèmes de recherche en histoire culturelle à la KU Leuven et au-delà dans le monde universitaire néerlandophone belge relèvent de la mission de « service à la société » demandé aux universités en Belgique, mais n’entrent pas (ou pas vraiment) en compte dans l’évaluation des dossiers de recherche. Surtout, présenter de manière condensée et claire un sujet de recherche implique un défi supplémentaire – un travail serré sur la langue et le style – énergivore en temps, une gageure à l’heure de la pression sur la quantité de publications et de la course aux financements.
Cultuurgeschiedenis : quels publics ?
N’ayant pas accès aux données sur la fréquentation du site, il m’est difficile de quantifier le nombre de visiteurs. Par contre, la consultation des quelques commentaires indique que les louanges sur la qualité du site ne suscitent pas de plus amples réactions conduisant à préciser ou débattre sur un thème ou l’autre. Ce carnet scientifique reste par conséquent assez statique et ne dépasse pas sa mission première qui est de communiquer des contenus spécifiques de recherche historique vers une audience plus large. Quel public peut donc être concerné par ces informations ? Assurément les étudiants et les enseignants-chercheurs en histoire de la KU Leuven et d’autres universités néerlandophones ; probablement des enseignants en histoire du secondaire et des historiens locaux ; de manière plus aléatoire, le « tout public ». En effet, les billets gardent un caractère universitaire, par la forme comme par le fond, et relèvent de ce que l’on appelle la « haute vulgarisation », laquelle joue un rôle d’interface entre les institutions de recherche et des médias de communication plus larges, magazines, journaux ou sites.
En guise de conclusion
Cultuurgeschiedenis vaut plus qu’un détour et mériterait la mention *** du guide vert Michelin (pour donner à cette analyse critique la petite note estivale qui rappelle tant le moment de son élaboration que de la consultation du carnet scientifique) pour les raisons susmentionnées : clarté, rigueur, originalité. Il atteste de la vitalité de l’histoire culturelle à la KU Leuven, une forme d’histoire axée, dans les recherches qui y sont menées aujourd’hui, tant sur le sensible que sur le représentationnel avec comme trait d’union la science, ses discours et ses pratiques. Longue vie à Cultuurgeschiedenis !
Referenties
- Voir Blondeau, Guillaume, ‘La plateforme Belgium WWII, au croisement entre « encyclopédie » et « exposition virtuelle » : enjeux et perspectives’, in : Contemporanea, XL, 2018, 1. Voir https://www.contemporanea.be/fr/node/299, consulté le 14 août 2019.
- Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Blog, consulté le 16 août 2019.
- Voir https://www.ecrirepourleweb.com/histoire-du-blog/, consulté le 16 août 2019.
- Voir https://fr.hypotheses.org.
- Voir https://www.openedition.org, consulté le 17 août 2019.
- Voir https://louvanhist.hypotheses.org/, consulté le 17 août 2019
- Voir https://cultuurgeschiedenis.be/, consulté le 14 août 2019. L’illustration est une capture d’écran de la page d’accueil.
- https://www.kvab.be/nl/prijzen/jaarprijzen-wetenschapscommunicatie, consulté le 14 août 2019. La photo accompagnée du texte de communication du prix est issue de ce site.
- Voir pour la description de ce logiciel : https://www.youtube.com/watch?v=0Tij-2amPgE, consulté le 17 août 2019.
- Voir Waarom Toots Thielemans niet graag aan het Vlaams Nationaal Zangfeest werd herinnerd, 27 février 2019 ou encore Waarom de Mattheuspassie hemelser lijkt met een knapenkoor, 25 mars 2014.
- Données obtenues par l’analyse d’un échantillon d’articles menée avec le logiciel Calculis. Voir https://calculis.net/compteur-de-mots, consulté et utilisé le 14 août 2019.