La constitution d’un pôle documentaire culturel, muséal et artistique à La Louvière
La préservation de la mémoire artistique et culturelle à La Louvière est intimement liée à la création du service des Archives louviéroises en 1977. Intégrant immédiatement dans ses missions la conservation des fonds publics de la commune et du CPAS ainsi que de fonds privés liés au passé de l’entité, il a ainsi rapidement assuré le sauvetage des archives du théâtre communal et du Centre culturel régional du Centre (CCRC) ou encore l’arrivée de celles des Amis de l’Art. Au fil du temps, l’ensemble s’est enrichi avec notamment les archives du Musée Ianchelevici, de la Fondation Idel Ianchelevici, d’Achille Chavée et du cercle littéraire des Scriveûs du Cente.
Longtemps envisagée de manière empirique et aujourd’hui appuyée par les autorités politiques locales, la réflexion visant à constituer, sur une base territoriale, un pôle documentaire muséal, culturel et artistique au sein des Archives trouve sa concrétisation par la concordance de différents facteurs. En premier lieu, la majeure partie des opérateurs culturels locaux était globalement confrontée à des constats identiques : une masse documentaire augmentant de manière exponentielle, une difficulté réelle à assurer la gestion des supports physiques et numériques ainsi que le manque de locaux adaptés pour une conservation pérenne des documents. En corollaire, l’accès à l’information, le respect de l’ensemble des obligations légales et les possibilités de valorisation s’en trouvaient inévitablement complexifiés. En assurant la préservation centralisée de la mémoire culturelle louviéroise, d’une part, et en proposant sur le long terme une réponse aux besoins réels des opérateurs de terrain, d’autre part, les Archives louviéroises se lancent dès lors dans une véritable opération win-win.

Le premier angle d’attaque développé répond à l’importance de l’offre muséale locale. La Louvière bénéficie en effet de la présence de plusieurs institutions dans son centre-ville : le Centre de la Gravure et de l’Image imprimée, Keramis et le Musée Ianchelevici La Louvière (Mill). Prioritairement et très légitimement impliquées dans leur core-business, celles-ci ne disposaient pas dans l’absolu des moyens humains et matériels permettant d’assurer une gestion efficiente de l’ensemble de leur production documentaire. Loin d’être neuve ni limitée à La Louvière, cette observation avait déjà été émise par l’Association francophone des musées de Belgique en 2010. Dans ce cadre, l’expérience des archivistes louviérois se révèle donc être un atout majeur. La constitution d’un pôle documentaire constitue par ailleurs des fondations concrètes pour un pôle muséal également envisagé sur le territoire louviérois.
C’est en adoptant une dynamique identique que se poursuit la collaboration avec Central (anciennement CCRC), lequel se présente aujourd’hui comme un pôle de création et une plateforme d’expressions plurielles englobant arts de la scène, musiques, arts plastiques, cinéma, éducation permanente et secteur jeune public. Renforçant l’intérêt du pôle documentaire proposé, d’autres demandes de soutien entraînèrent l’arrivée de nouveaux fonds aux Archives, dont ceux de l’asbl Décrocher la Lune et de l’ancienne directrice de Dragon Costumes et des Productions du Dragon, Claudine Cornet. Les besoins des opérateurs louviérois décrits ici ne sont que les témoignages locaux de flagrantes carences entraînant la perte d’importants pans de la mémoire artistique en Fédération Wallonie-Bruxelles. La démarche louviéroise s’inscrit dès lors également très logiquement dans la lignée du message porté par Aires Libres (projet Passe/Temps), l’Association des Archivistes francophones de Belgique, Contredanse, ExtraPôle, la Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse (CTEJ), les Archives et Musée de la Littérature (AML) et le Centre de recherche en Cinéma et Arts du spectacle (CiASp) pour préserver la mémoire des arts vivants.

La création du poste de conservateur du Patrimoine artistique et l’installation de celui-ci dans les locaux des Archives ont non seulement accru les compétences présentes, mais également ouvert d’autres champs d’action. Parmi eux, la constitution de fonds d’archives dédiés aux artistes représentés dans la collection communale. Quantitativement et qualitativement, cette dernière est l’un des ensembles patrimoniaux communaux les plus significatifs de Wallonie. Constituée de plus de 1.200 œuvres, elle embrasse un art essentiellement hainuyer, de la fin du 19e siècle à nos jours. Témoignant d’une véritable politique culturelle, la constitution de la collection et son enrichissement sont rendus possibles par la mise à disposition d’un budget communal destiné à l’acquisition, couplée à une politique de don. La création d’un éphémère musée communal dans les années 1960 et, surtout, l’ouverture de l’actuel Mill en 1987, un lieu dédié notamment à la mise en évidence de la collection communale, attestent cette volonté de valorisation du patrimoine artistique.
Les voies permettant de documenter la collection communale sont plurielles. La première est l’existence des décisions avalisant l’achat ou le don d’une œuvre. Une deuxième voie est la présence d’éventuelles pièces au sein de la correspondance reçue ou envoyée par des personnalités politiques. À cet égard, les fonds d’anciens mandataires conservés aux Archives se révèlent d’une grande utilité. Une troisième voie est la constitution de fonds dédiés spécifiquement aux artistes.
À ce jour, le fonds quantitativement et qualitativement le plus important au sein du pôle documentaire est celui dédié à l’artiste Idel Ianchelevici. Né en Bessarabie, il arrive en Belgique en 1928. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Liège, il accède bien vite à une reconnaissance certaine en tant que sculpteur et dessinateur. En 1945, sa sculpture monumentale L’Appel est inaugurée à La Louvière. À partir de ce moment, se développent pendant plusieurs décennies des relations amicales fécondes entre l’artiste et les autorités communales. En 1987, la Ville de La Louvière crée le Musée Ianchelevici, une institution destinée notamment à la conservation, l’étude et la valorisation de l’œuvre de l’artiste mis en dépôt par la Fondation Ianchelevici.

Confié aux Archives locales, le fonds Ianchelevici comprend en premier lieu la bibliothèque personnelle de l’artiste. Les dossiers relatifs aux œuvres, la correspondance ainsi que l’iconographie constituent la majeure partie du fonds. Beaucoup plus modeste est le fonds dédié au peintre Paul Leduc. Reconnu comme l’un des grands noms belges de l’impressionnisme et du luminisme, celui-ci est intimement lié à la vie culturelle louviéroise. En 1908, aux côtés notamment d’Anna Boch et de Charles Catteau, Leduc participe aux premiers soubresauts d’une vie artistique louviéroise qui ne demande qu’à éclore. Le cercle artistique Les Amis de l’Art vient de naître. Ce fonds quantitativement modeste nous permet néanmoins d’entrer de plain-pied dans l’existence de l’artiste. À côté d’ouvrages reçus en hommage, l’ensemble est riche avant tout d’articles et coupures de presse. Cette documentation permet de suivre les nombreuses expositions individuelles et collectives auxquelles a participé le peintre. Le fonds Paul Leduc comprend également une correspondance entre l’artiste et les autorités louviéroises.
La constitution de fonds d’archives dédiés aux artistes est essentielle à une connaissance toujours plus approfondie de la vie culturelle locale et régionale. Si les exemples de Leduc et Ianchelevici démontrent que le pôle documentaire louviérois conserve déjà des fonds liés à des figures majeures de la scène artistique, une prospection méthodique, ciblée et concertée doit renforcer cette politique. Initiée en 2024 et menée auprès des artistes de la collection ou à leurs ayants droit, elle doit permettre l’identification et, à terme, la constitution de fonds d’archives représentatifs. Cette politique donne déjà ses premiers fruits, puisque le peintre Daniel Pelletti, figure majeure de l’art dans la région du Centre, a marqué son accord quant à la constitution d’un fonds documentant sa riche carrière d’artiste et d’enseignant. De son côté, le photographe Raymond Saublains, connu pour ses nombreux portraits d’artistes hainuyers pris dans leur atelier, s’inscrit avec enthousiasme dans une démarche semblable de conservation de la mémoire artistique.
Dans une même démarche prospective visant à constituer une base documentaire pour chaque œuvre de la collection artistique, toute entrée dans le patrimoine communal s’accompagne désormais d’une fiche détaillée. Reprenant les indispensables informations biographiques de l’artiste, elle précise les modalités et circonstances de l’acquisition. Basée sur la fiche d’inventaire utilisée pour référencer la collection artistique, elle reprend également des données bibliographiques qui, selon les cas, sont intégrées au centre de documentation développé au sein du pôle documentaire.

En guise de conclusion
En associant deux services – Archives et Patrimoine artistique – dans une vision de travail globale tout en assurant l’accessibilité des ressources inventoriées au plus grand nombre, la Ville de La Louvière donne un signal clair quant à la richesse de son patrimoine et à ses multiples possibilités d’exploitation. In fine, cette gestion documentaire et patrimoniale commune doit également permettre la concrétisation de projets historiques et mémoriels d’envergure.
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