Le Centre d’histoire des sciences et des techniques de l’université de Liège et la mémoire du passé industriel wallon
Geneviève Xhayet
Fondé dans les années 1980, avec pour vocation l’éclairage du passé scientifique et technique de la Wallonie, le CHST s’oriente bientôt aussi vers l’histoire industrielle. Par le biais de dons, de mises en dépôt, de sauvetages lors de fermetures d’usines, ses chercheurs rassemblent une vaste documentation, principalement collectée dans le bassin liégeois. Hormis les archives proprement dites déposées aux Archives de l’État à Liège, les fonds industriels sont installés dans les locaux du CHST-ULiège. Pour l’essentiel, ils se composent de documents iconographiques et de publications, en l’occurrence de la littérature technique ancienne qui reflète l’évolution technologique aux XIXe et XXe dans les siècles (jusqu’en 1970 environ), et des documents émis par les entreprises à diverses fins.
Les documents dont nous voudrions dire ici un mot concernent la stratégie de communication, à l’adresse du personnel ou du monde extérieur. Les entreprises publient en effet des bulletins à l’intention de leur personnel (ou d’une partie de celui-ci), aux titres ou sous-titres significatifs : Contact entre nous (à Cockerill-Ougrée), Espérance. Bimestriel d’information et d’union du personnel de la SA Métallurgique d’Espérance-Longdoz, ou encore FN, organe mensuel du personnel de la fabrique nationale d’armes de guerre de Herstal. Elles ont pour sujet la vie de l’entreprise : portraits d’ouvriers méritants, réalisations fameuses, moments marquants (cérémonies de décorations, mises à la retraite, anniversaires de la firme), sans oublier les mentions d’événements familiaux (naissances, mariages, décès) survenus dans les familles de travailleurs. Le but est de souder les équipes, d’affermir le lien unissant les hommes à la société qui les emploie, d’entretenir le sentiment d’appartenance à la « famille » l’entreprise (et la fierté qui l’accompagne), bref de créer une culture d’entreprise.
Un second ensemble concerne l’information à l’adresse de l’extérieur : brochures de notoriété, publications (parfois somptueuses) éditées à l’occasion d’événements festifs, d’expositions internationales auxquelles les entreprises émettrices participent. Cette mise en lumière porte alors sur la production de la société, mais aussi sur son extension, ses succursales, ou ses filiales. L’insistance est aussi volontiers faite sur les équipements offerts aux ouvriers : caisse d’épargne, logement, école, ou encore dispensaire. Un dernier volet de la communication externe industrielle se concrétise par l’important fonds de catalogues (remontant pour les plus anciens à la fin du XIXe siècle) qui présentent, à l’usage de clients potentiels, l’éventail de la production d’une société donnée. Ces catalogues informent des produits mais ils sont aussi une mine sur les firmes elles-mêmes. À côté d’entreprises richement documentées, on se souviendra que le tissu industriel était aussi fait d’une multitude de petits ateliers pour lesquels l’information est très réduite. Un feuillet publicitaire dans les archives d’un concurrent, d’un fournisseur ou d’un client devient alors une source utile, tant pour apprécier une production, que pour attester d’une existence à une époque donnée. Précieux pour qui étudie l’évolution technologique, les catalogues documentent donc aussi l’histoire du tissu économique et industriel, ou encore celle du commerce régional ou sur une plus vaste distance.
Longtemps, les archives industrielles ont connu un sort aléatoire. Le mérite des chercheurs du CHST fut sans doute, dès les années 1980 de s’y intéresser et de le collecter. Notre souhait en écrivant ces lignes est non seulement d’attirer l’attention sur un patrimoine riche, mais fragile par sa nature, et de convaincre de la nécessité qu’il y a désormais à le pérenniser.