Le fonds Jeanne Cappe à l’ARCA : reflet d’un quart de siècle de littérature de jeunesse francophone (1945-1970)
Luc Courtois, (ARCA)
Sous l’appellation « fonds Jeanne Cappe » sont conservées aux Archives du monde catholique (ARCA) à Louvain-la Neuve, à la fois la bibliothèque du Conseil de littérature de jeunesse, fondé et dirigé de 1948 à 1956 par Jeanne Cappe (1895-1956) et les archives de cette dernière.
Née à Liège en 1895, Jeanne Cappe a eu un parcours de femme remarquable au siècle dernier. Après des études secondaires dans sa ville natale, chez les Filles de la Croix, elle suit les cours de philosophie en élève libre à l’Université́ de Liège pendant deux ans, avant de faire partie, en octobre 1920, de la première cohorte d’étudiantes admises à l’Université de Louvain. Elle y obtient une licence en philosophie thomiste (1920-1923) et une candidature en sciences (1924). C’est là qu’elle est remarquée par le cardinal Mercier qui, conscient des mutations de société consécutives à la guerre, cherche à former des « élites » laïques catholiques, tant féminines que masculines : il l’oriente vers le journalisme et l’écriture, comme collaboratrice de la Revue catholique des idées et des faits (créée en 1921) et du Vingtième Siècle (1895), où elle débute en 1924. En 1928, elle passe à La Nation Belge où elle écrira jusqu’à sa mort. Parallèlement à cette activité, elle s’engage dans le mouvement social chrétien féminin, comme enseignante à l’École sociale catholique féminine de Bruxelles (1920-1939), comme secrétaire de presse à l’Œuvre nationale de l’enfance (1924-1933), comme rédactrice à La Femme belge (1927), etc.
À partir de 1935, elle s’investit davantage dans la littérature de jeunesse, à la fois comme écrivaine (Astrid, la Reine au sourire, Tournai, Casterman, 1935)1, mais aussi bientôt comme critique (Les Livres destinés à la jeunesse, Bruxelles, 1942). C’est dans ce contexte qu’elle crée en 1948 le Conseil de littérature de jeunesse, dont la bibliothèque alimente ses critiques parues dans la revue Littérature de jeunesse publiée à partir de 1949.
Mentionnons également que Jeanne Cappe était la sœur de Victoire Cappe (1886-1927), pionnière du mouvement social féminin chrétien, présidente-fondatrice de l’École sociale catholique féminine de Bruxelles (1920-1927) et l’épouse de Fernand Desonay (1899-1973), professeur à l’Université́ de Liège, historien de la littérature française et écrivain.
Sur le plan documentaire, la bibliothèque a été acquise par l’Université́ de Louvain en 1979 et intégrée au Centre de littérature de jeunesse, du jeu et du jouet, mis sur pied à l’époque par le professeur de pédagogie André́ Dehant. Elle se compose de collections d’ouvrages (albums et romans) édités par des maisons d’édition françaises et belges entre le milieu des années 1930 et les années 1970 (le fonds a en effet continué à être alimenté de 1956 à 1977 par la collaboratrice de Jeanne Cappe, Alice De Rycke). Après l’éméritat d’André Dehant, en 1998, la bibliothèque du Conseil de littérature de jeunesse à été cédée à l’ARCA assurant ainsi la conservation d’un genre peu prisé par les bibliothèques scientifiques. C’est au cours du transfert de cette bibliothèque à l’ARCA qu’ont été retrouvées, dans une armoire des locaux affectés au centre de guidance de l’Université, les archives de sa fondatrice qui, désormais classées, occupent à l’ARCA trois mètres linéaires2.
La bibliothèque renferme environ 10.000 volumes (catalographiés dans une base de données, en ligne sur le site de l’ARCA). Son intérêt majeur est de réunir des collections qui offrent une vision d’ensemble des productions littéraires pour la jeunesse des décennies 1940, 1950 et 1960, encore peu étudiées. Quant au fonds d’archives, il éclaire les actions de Jeanne Cappe en matière de littérature de jeunesse, tant du côté de la création que de la critique. Une des particularités de la bibliothèque – pour des raisons qui posent question sur le plan littéraire – c’est qu’elle regorge de cartes géographiques. C’est dans ce contexte qu’elle a été – preuve de son intérêt – mise à contribution par Sabrina Messing, pour sa thèse de doctorat.3
Références
- Ce premier ouvrage de l’auteur sort en 1935 chez Casterman, après la parution des premières pages dans La Revue catholique des idées et des faits (t. XV, n° 34, p. 10-12). D’après Florian Moine, cette évocation d’Astrid de Suède (1905-1935), épouse du prince Léopold en 1926 et reine de Belgique en 1934, constitue le « premier best-seller de Casterman dans le domaine de la littérature enfantine » (Casterman [1919-1999]. Une entreprise du livre, entre Belgique et France, thèse de doctorat de l’Université de Paris 1, Paris, 2020, p. 47). Il faut dire que la reine Astrid, décédée tragiquement le 29 août 1935 dans un accident de voiture, était très populaire en Belgique et que l’auteur nous la présente comme une grande patriote de la « Belgique catholique ».
- Zelis, Guy, Inventaire des papiers Jeanne Cappe (1895-1956), suivi de Jeanne Cappe , une intellectuelle au pays de l’enfance, Louvain-la-Neuve, ARCA, 2001, nouvelle édition, 2020, 36 p., consultable en ligne sur le site de l’ARCA.
- Messing, Sabrina, Rhétorique, esthétique et imaginaire de la carte en littérature de jeunesse : du fonds Jeanne Cappe aux productions contemporaines (Université de Lille-Université catholique de Louvain, 2019).