Scheltiens, Vincent et Verlaeckt, Bruno, Extrême droite. L’histoire ne se répète pas … de la même manière (Mons : Editions du Cerisier, 2021), 161 p.
Alain Colignon, CegeSoma
« Encore un ouvrage consacré à l’extrême droite contemporaine », dira-t-on. Et comme cette problématique s’avère porteuse auprès d’un certain public progressiste, aussi avide de frissons que prompt aux indignations citoyennes, il est à craindre qu’il ne prêche que des convaincus. Ce serait dommage, car le livre est de qualité. Certes, il s’agit d’un essai plus que d’un travail strictement scientifique et bardé de notes, mais il s’avère de qualité et même s’il reste solidement campé sur un plan surtout factuel au long d’un déroulement chronologique somme toute des plus classiques, il ouvre des perspectives jusqu’ici peu abordées dans un écrit qui se veut à la fois informatif et engagé.
Le principal auteur n’est pas un inconnu. Historien de formation et contemporanéiste de spécialisation, Vincent Scheltiens est présentement assistant postdoctoral à l’Université d’Anvers après avoir effectué différentes recherches dans les murs du CegeSoma. Connu et apprécié pour la qualité de ses travaux, l’homme est à la fois un socialiste qui ne met pas son drapeau en poche et un chercheur qui entend allier à la fois la rigueur et le sens critique, sans sacrifier aux idoles de notre époque, qu’il s’agisse du « politiquement correct » ou d’une hypocrite « neutralité ». Quant à l’autre contributeur, Bruno Verlaeckt, il est une des figures connues de la FGTB anversoise.
Notre époque ayant vu se redéployer puissamment une forme particulière d’extrême droite sur l’ensemble des pays du « Vieux Continent » et jusqu’en Amérique du Nord sous l’étiquette (parfois rapidement attribuée) de « populisme » ou de « national-populisme », il a entendu analyser le phénomène en le mettant en perspective avec ses « grands ancêtres » du passé. Et contrairement à ce qu’on aurait pu attendre d’une étude « engagée », il ne le rattache pas vraiment aux « fascismes » vaincus en 1945 mais plutôt aux différents courants nationalistes tels qu’ils se profilaient en Europe avant la Grande Guerre. Autre originalité, il dépeint avec nuances les différentes sensibilités pouvant être rattachées à l’extrême droite, montrant que celle-ci ne forme pas un bloc monolithique et qu’elle peut être soumise à des évolutions au fil du temps, tantôt en se radicalisant, tantôt en se modérant en fonction de la conjoncture.
En fait, depuis l’après-guerre, les auteurs distinguent quatre grandes périodes dans les formulations concernant cette famille politique, périodes correspondant pour l’essentiel à des cycles économiques spécifiques. Après le néo-fascisme et la droite extrême cultivant un anticommunisme dur et pur de la fin des années ’40 aux années ’60, on est passé vers la fin des années ’70 à des mouvements poujadisants, anti-fiscalistes, combinant néo-libéralisme radical et démagogie anti-immigrés. Puis, à partir des années ’90 du siècle dernier, ces mouvements se sont radicalisés tandis que d’autres sont apparus, associant une xénophobie de plus en plus virulente à une acceptation formelle de la démocratie parlementaire…tant qu’elle pouvait les servir. Enfin, à partir du 21e siècle, ils ont poursuivi leur évolution dans un sens de plus en plus « populiste », battant monnaie de l’anti-islamisme au nom des « valeurs occidentales » et déclinant désormais une xénophobie sans complexe renouant avec le nationalisme d’autrefois, prospérant en Europe dans des régimes devenus peu à peu des « démocraties illibérales ». Et tout cela au nom de la défense des identités nationales, malmenées tantôt par « la mondialisation », tantôt par l’eurocratie, tantôt par des migrations massives non contrôlées. Et si tout cet argumentaire n’est pas faux, il n’en est que plus pernicieux car il irradie la droite modérée, voire le centre et le centre-gauche. Enfin, grâce aux « réseaux sociaux », les plus radicaux de ces mouvements communient dans les « vérités alternatives », et réussissent ainsi à contaminer d’assez vastes secteurs de l’opinion plutôt issus des classes populaires et désormais en manque de repères idéologiques, après le naufrage des communismes à la charnière des années 1980 et 1990…Et à chaque fois, les auteurs montrent que ni les périodes, ni les mouvements ne sont totalement étanches : il existe des passages assez fréquents de l’un à l’autre.
En guise de conclusion, Vincent Scheltiens invite la gauche socialiste, qui est sa famille politique, à faire son examen de conscience…ou son autocritique : n’a-t-elle pas trop cédé aux sirènes du consumérisme et du libéralisme, délaissant les couches populaires au profit des « nouvelles classes moyennes » mondialisées, détricotant ainsi le tissu social et ouvrant un vaste champ d’expansion, avec ces classes populaires en déshérence, aux « nationaux-populisme » de tout poil ?
Il est temps, en effet, de se poser la question. Et d’y répondre.
Et pour être complet, signalons que cet ouvrage est paru originellement en néerlandais chez « ASP Editions-Académic & Scientific Publishers », sous le titre : Extreemrechts. De geschiedenis herhaalt zich niet (op dezelfde manier). Cette précision peut avoir son importance quand on sait que les droites extrêmes sont, pour différentes raisons qu’il conviendrait sans doute d’expliciter, beaucoup mieux implantées en Flandre qu’au pays wallon. Cela aussi, « c’est la Belgique ».