Cinéma en Belgique occupée (1940-1944)
Bénédicte Rochet, Université de Namur
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le cinéma est un média prisé par les Belges. Si la majorité des productions sont étrangères, le nombre de salles quant à lui est important pour un si petit territoire. Une expansion des cinémas se marque particulièrement dans les années 1930, tant en ville qu’à la campagne. Selon les estimations de l’époque, la Belgique serait la nation la mieux pourvue en salles par rapport au nombre d’habitants : « 125 salles/million d’habitants pour 40 salles/million d’habitants en Hollande »1. En mai 1940, toute cette exploitation cinématographique, ainsi que la distribution et la production, passent sous l’emprise complète de l’occupant allemand. Considérant le film comme un outil de propagande, le Gruppe Film de la Propaganda-Abteilung Belgien contrôle dorénavant les programmes des séances cinématographiques sans pour autant entraver l’engouement des Belges pour ce divertissement bienvenu en temps de guerre. Le site Cinema in Occupied Belgium (1940-1944) donne un aperçu de cette exploitation et distribution cinématographiques en période d’occupation allemande en compilant des données sur plus de 1530 films et 960 cinémas en Belgique.
Le résultat d’un travail collectif
Le projet du site a été initié par Roel Vande Winkel (KUL) qui consacre ses travaux de recherche à la problématique du cinéma en Belgique occupée depuis sa thèse de doctorat en 2003 sur les actualités filmées de la UFA2. L’objectif est avant tout d’offrir en ligne une base de données compilées à partir de sources historiques plutôt qu’un site de vulgarisation d’un contenu scientifique. L’outil peut intéresser tant les chercheurs en histoire du cinéma que, plus largement, ceux en histoire culturelle, en histoire des médias ou encore en histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Le site est le résultat d’un travail collectif de dépouillement : une trentaine de collaborateurs, étudiants et archivistes ont participé à la collecte des données provenant de différentes institutions, publiques et privées, telles qu’Archief Gent, la Cinematek, la Stadsarchief Leuven et William Gillespie.
L’exploitation cinématographique par Province
Trois onglets au menu permettent de circuler dans le website conçu en anglais : cinémas / films / distributeurs. Pour l’entrée ‘cinémas’, l’interface propose une navigation par le biais d’une carte de la zone d’administration militaire allemande en Belgique et dans le nord de la France (remarque : cette carte pourrait laisser croire que des données ont également été collectées pour le nord de la France mais en réalité seul l’espace géographique belge a été pris en considération). Cette carte d’époque avec une police gothique donne une certaine identité graphique au site l’associant à l’esthétique du Reich allemand.
La navigation s’effectue par province (9 au total). Pour chacune, la page web propose une liste nominative et exhaustive des cinémas existant entre 1940 et 1944 et leur situation géographique visualisée grâce à des repères sur une carte interactive. Cet outil cartographique se révèle très utile pour obtenir une vue d’ensemble de l’implantation des cinémas sur la province. Il permet notamment d’identifier les zones plus densifiées, les salles se concentrant majoritairement au chef-lieu provincial et dans sa banlieue. Le lecteur peut également se rendre compte que l’exploitation est peu développée dans certaines provinces telles que le Namurois, le Luxembourg et le Limbourg qui comptent une trentaine de salles de cinéma alors que le Brabant ou le Hainaut en ont chacun près de 200. Néanmoins, cette visualisation cartographique permet de voir que dans ces provinces avec un faible taux d’exploitation, les salles sont plus largement réparties sur l’ensemble du territoire provincial.
Chaque cinéma répertorié sur le site dispose d’une fiche d’identité détaillée (adresse, propriétaire, exploitant, nombre de sièges, nombre de séances par semaine ou encore catégorie de salle3 …) ainsi que de la liste des films qui y ont été projetés et la période de leur projection. Toutes ces données sont plus ou moins complètes en fonction des sources disponibles.
Valorisation des affiches et annonces publicitaires de films
L’onglet ‘films’ offre un panel d’affiches de cinéma ou d’annonces publicitaires servant de portes d’accès à une fiche détaillée pour chaque film (titre, réalisateur, langue, année et lieu de production, distributeur, lieux de l’avant-première en Belgique, lieux et dates des séances…).
Certains films sont restés à l’affiche toute la durée de guerre comme le célèbre « Le jour se lève » (1939) de Marcel Carné avec Jean Gabin ou le très polémique et antisémite « Le Juif Suüs » (1940) de Veit Harlan. En effet, les maisons de distribution étrangères, en particulier américaines et anglaises, ont tout simplement été retirées du circuit laissant place libre aux productions allemandes et à leur propagande ou aux vieux films des années 1930 remisés dans les greniers des salles de cinéma. Pour chaque production, un hyperlien sur la fiche renvoie le navigateur vers l’importante base de données films du Deutsches Filminstitut & Filmmuseum et vers l’IMDB, Internet Movie Database gérée par Amazon, ce qui permet d’avoir des informations complémentaires sur le scénario, les acteurs, la durée du film etc.
Quelques écueils
Avec plus de 1500 films répertoriés dans cet onglet, le chercheur sera sans doute frustré par le manque de classement des productions (ni ordre alphabétique, ni ordre chronologique) et par l’absence de filtres qui permettraient une navigation plus fluide. Notons néanmoins qu’au sein des fiches d’identité, il est possible de faire une sélection via le réalisateur ou via les maisons de distribution actives en Belgique durant l’occupation. Ces dernières constituent le dernier onglet du menu. Elles y sont répertoriées alphabétiquement mais sans aucune identification temporelle ou géographique, ni notice explicative ce qui est regrettable. En réalité, ce regret par rapport à l’absence d’une mise contexte historique, même brève, s’applique à l’ensemble de la base de données qui en est totalement dépourvue, or la majorité des films sont des objets de propagande national-socialiste qui doivent être présentés et considérés comme tels. Une bibliographie plus large serait également pertinente bien que cinq hyperliens renvoient vers les publications de Roel Vande Winkel sur le sujet. En l’état, le site est essentiellement de type ‘encyclopédique’. En effet, le croisement des données y est sommaire. Le chercheur aurait pourtant envie, par exemple, de connecter les séances et lieux de projection d’un film sur une carte pour voir si celui-ci était projeté sur l’ensemble du territoire belge ou seulement sur une partie bien déterminée, ou uniquement dans les grandes villes… Un développement des filtres, des possibilités d’associations de données rendrait certainement l’outil encore plus performant.
Un outil participatif
Néanmoins, dans un secteur peu accoutumé à la conservation de documents – même si le temps de guerre constitue une période particulière étant donné que le cinéma est sous contrôle de différents organismes d’État (gildes, corporations, ministères…), qui ont, a priori, une pratique de l’archive et qui ont laissé des sources en conséquence -, cette base de données sur l’exploitation cinématographique en Belgique occupée est le résultat d’un important travail de dépouillement systématique de la presse cinématographique, des annuaires et autres archives clairement référencés sur le site. Elle constitue dès lors, sans nul doute, un outil indispensable pour l’historien. Et, en tant que site « in progress », elle est appelée à évoluer et à progressivement s’enrichir. Le visiteur du site est d’ailleurs sollicité pour y apporter toute information complémentaire. Enfin, une newsletter permet d’être tenu au courant de l’état d’avancée du projet. Le site Cinema in Occupied Belgium (1940-1944) offre un bel exemple des possibles valorisations en ligne des sources cinématographiques. Or, l’histoire du cinéma en Belgique reste un champ de recherche encore largement ouvert qui n’attend que d’être exploré.
Webreferenties
- Cinema in Occupied Belgium (1940-1944): https://www.cinema-in-bezet-belgie.be/
- Archief Gent: https://stad.gent/nl/cultuur-sport-vrije-tijd/cultuur/archief-gent
- Cinematek: https://cinematek.be/
- Stadsarchief Leuven: https://www.leuven.be/stadsarchief
- William Gillespie: https://germanfilms.net/
- Deutsches Filminstitut & Filmmuseum: https://www.filmportal.de/
- IMDB, Internet Movie Database: https://www.imdb.com/
Références
- Raymaekers, R., « Le cinéma, industrie nationale ? », Le cinéma en Belgique, Reflets ?, numéro spécial (avril 1940), 14.
- Vande Winkel, Roel, Nazi newsreels and foreign propaganda in German-occupied territories. The Belgian version of Ufa’s foreign weekly newsreel (ATW), 1940-1944(cliquez droit pour le lien) (Universiteit Gent, unpublished Phd, 2003). La thèse est disponible sur le site dans son intégralité.
- À l’époque, l’exploitation cinématographique est divisée en catégories (en fonction de la situation géographique et du nombre de sièges de la salle). À chaque catégorie correspond un prix minimum pour les séances et la possibilité, ou non, d’obtenir des films en avant-première.