Warland, Geneviève (ed.), Experience and Memory of the First World War in Belgium. Comparative and Interdisciplinary Insights (Münster-New York; Waxmann, 2018), 228 p.
Philippe Raxhon, professeur à l’Université de Liège.
Experience and Memory of the First World War in Belgium. Comparative and Interdisciplinary Insights, un livre de contributions scientifiques éditées par Geneviève Warland, est en soi une expérience, celle de rassembler des spécialistes de différentes disciplines pour aborder la thématique de la Première Guerre mondiale sous l’angle de la mémoire.
Bon nombre de ces auteurs ne sont pas des premiers venus dans le domaine des études sur la mémoire et ont déjà pris l’habitude de travailler ensemble, à travers différents groupes scientifiques ou réalisations éditoriales, et cela contribue à conforter leurs contributions. Le volume est préfacé par Annette Becker, historienne bien connue de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, et enrichi par les considérations des éditeurs. C’est Geneviève Warland, chargée de cours en histoire à l’UCLouvain, qui signe l’introduction resituant la présente publication par rapport à la vague éditoriale provoquée par une commémoration aussi importante que celle du centenaire du premier conflit mondial. Ce livre est le fruit des recherches d’un projet interdisciplinaire intitulé Recognition and Resentment : Experiences and Memories of the Great War in Belgium (MEMEX WWI) qui a rassemblé des universitaires de décembre 2013 à décembre 2018, financés par Belspo, le service de la politique scientifique au niveau fédéral belge.
Il n’est pas possible de présenter en détail chaque contribution dans le cadre de ce compte rendu, mais un certain nombre de traits méritent d’être soulignés. La première partie s’ouvre avec une contribution très riche de Rose Spijkerman, doctorante en histoire à l’Ugent, Oliviet Luminet, professeur de psychologie à l’UCLouvain et l’ULB, et Antoon Vrints, chargé de cours en histoire à l’Ugent, sur les fonctions psychologiques des journaux de guerre tenus par les soldats, mais aussi leurs lettres, les autobiographies et les mémoires, bref les supports d’expression individuelle dont les soldats maîtrisent personnellement la narration et qui sont devenus des sources importantes pour les historiens, et des sources particulières aussi car c’est la première fois dans l’histoire qu’un événement a laissé des traces de cette nature, des témoignages, en quantité aussi grande.
Dans la foulée, le chapitre suivant, signé par Geneviève Warland et Olivier Luminet examine dans un article fourni les écrits personnels de deux historiens contemporains frappés par la Grande Guerre, et qui nourrissaient des liens professionnels avec l’Allemagne avant le conflit. Il s’agit de Paul Fredericq et Henri Pirenne, deux grandes figures de l’historiographie belge.
La chute des forts et des villes lors de l’invasion allemande à partir d’août 1914 constitue un thème emblématique dans la culture mémorielle belge, il fait l’objet d’une analyse éclairante par Myrthel Van Etterbeeck, doctorante en littérature à l’Ugent et Karla Vanraepenbusch, doctorante en histoire à l’UCLouvain.
La poésie est un des genres littéraires les plus sollicités durant la Première Guerre mondiale. Il fait pleinement partie de la culture de guerre. La contribution signée par Elke Brems, professeur de littérature à la KULeuven, Reine Meylaerts, professeur de littérature comparée à la KULeuven, Pierre Bouchat, chercheur en psychologie à l’UCLouvain, et Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB, prend véritablement la mesure, au sens propre du terme, de la gamme des émotions véhiculées dans ces textes.
La Grande Guerre est une balise, y compris par rapport aux conflits postérieurs qui ont jalonnés le siècle passé et le début du nôtre. Cette force mémorielle a impacté de nombreux pays en particulier européens et une approche comparative des représentations qui en sont issues devrait permettre une lecture plus affinée des relations internationales. C’est le défi relevé avec beaucoup de crédibilité par la contribution de Valérie Rosoux, maître de recherches du FNRS, Pierre Bouchat et Olivier Klein.
La troisième partie du livre met le focus sur le centenaire proprement dit par le truchement de l’étude des commémorations, en commençant par une contribution de Chantal Kesteloot, chercheuse au CegeSoma et Laurence van Ypersele, professeur à l’UCLouvain, qui traite fort intelligemment de la place du timbre-poste comme support mémoriel de la Grande Guerre en Belgique et ceci jusqu’à nos jours.
Pierre Bouchat, Olivier Klein et Valérie Rosoux nous convient à la découverte stimulante des paradoxes, voire des contradictions, de la pratique commémorative liée au thème de la Première Guerre mondiale en Belgique, en particulier à travers l’expérience de grandes expositions publiques et de productions audiovisuelles sur le thème, auxquelles est confrontée pour analyse une population de jeunes étudiants.
La conclusion est signée par Bernard Rimé, professeur émérite de psychologie à l’UCLouvain, sur les traces de la Grande Guerre et leurs effets sur la mémoire collective.
La variété des approches n’hypothèque pas un ensemble cohérent et robuste, fruit d’un beau condensé de savoir-faire. Les différentes contributions sont toutes rehaussées par un bon apparat critique et de nombreuses références bibliographiques. Une liste d’identification des contributeurs clôture cet ouvrage de belle facture et de haute tenue.