De Munck, Luc, Altijd troosten. Belgische verpleegesters tijdens de eerste wereldoorlog (Amsterdam: Amsterdam University Press, 2018), 192 p.
Jonathan Leysens, Maître en histoire (UCLouvain)
L’ouvrage que nous offre Luc De Munck s’inscrit à la suite d’une série d’études consacrées à l’histoire de la Première Guerre mondiale. L’auteur a notamment publié De Grote Moeder in de Grote Oorlog 1, Het hospitaal van de Koningin 2 et De artistieke contacten van koningin Elisabeth. 1914-1918 3. Ce nouvel ouvrage de l’ancien archiviste de la Croix-Rouge est un prolongement d’une exposition organisée en 2018 sur l’histoire des infirmières durant la Grande Guerre. Il vient combler un champ historique à peine amorcé avec les études de Raymond Reding4 et du Cegesoma5. Luk De Munck explique ce retard par le manque de sources disponibles. Un manque qui avait amené quelques années plus tôt Fabian Van Wesemael à se focaliser sur les infirmières britanniques et françaises6. Les données sont le fruit de la recherche de master de l’A. qui portait sur l’identité professionnelle des infirmières catholiques de Belgique entre 1900 et 1970.
L’étude de notre auteur entend nuancer l’image d’un front de l’Ouest sur lequel les infirmières britanniques auraient été les seules à travailler. Dans ce cadre, elle vise à évaluer le nombre d’infirmières belges actives durant le conflit, mais également à mieux rendre compte de la mise en place d’une formation spécifique répondant aux besoins de guerre. Il s’agit aussi pour l’auteur d’étudier la représentation qu’on se faisait à la fois de la formation et de la profession.
Pour ce qui est des sources, les principaux fonds dépouillés sont ceux de quatre écoles de soins infirmiers fondées au début du XXe siècle à Anvers et Bruxelles (l’école belge pour les infirmiers diplômés de Bruxelles et de l’école d’infirmières de Saint-Camille). L’heuristique s’est vu complétée par des archives militaires et des archives privées conservées par les familles de soldats et d’infirmières de ce grand conflit mondial. Ainsi il a pu obtenir des éclairages concernant le quotidien, l’organisation et les ressentis des soignantes comme des soldats dont elles s’occupaient.
Concernant la structure, l’ouvrage s’articule autour d’un plan plus thématique que chronologique. Dans le premier chapitre, l’auteur compare l’évolution du nombre d’infirmières belges diplômées issues des différentes écoles avant (4447) et pendant le conflit (1792).
Le second chapitre aborde quant à lui les pratiques infirmières dans les hôpitaux du front – pas moins de 800 infirmières. L’Auteur met en avant les tensions entre infirmières diplômées et non diplômées. Mais cela va plus loin. Sur le front, il note également des tensions entre infirmières britanniques et belges. Il se concentre ensuite sur la manière dont celles-ci ont pu ou dû faire face aux corps blessés, l’hygiène, la maladie, la fatigue, les techniques médicales et, naturellement, la mort. C’est une nouveauté par rapport à l’avant-guerre. Mais qui aurait pu les préparer à la boucherie et ses conséquences qu’elles ont découvert sur le front ?
Si la formation en matière de soins infirmiers a longtemps été gérée par des religieuses, des écoles laïques ne tardèrent pas à être fondées à leur tour : une à Liège en 1882, une à Bruxelles en 1887, une autre à Anvers en 1902 et encore trois de plus à Bruxelles en 1907. Au début du XXe siècle, l’État belge introduit un diplôme de capacité pour infirmières, obtenu au terme d’une formation principalement théorique d’un an seulement. Le monde catholique et les médecins montrèrent de sérieuses réserves face à cette nouveauté. Ils critiquaient le sérieux de cette formation et, dans le cas des institutions catholiques, cette concurrence nouvelle créait des tensions. Quoi qu’il en soit, ces écoles laïques rencontrèrent rapidement un franc succès.
Pendant la guerre, les formations ont perduré sans rencontrer de problème conséquent vis-à-vis de l’occupation allemande. Deux nouvelles écoles ont même été fondées à Londres ainsi qu’à Calais dans le but de fournir de nouvelles professionnelles pour les hôpitaux militaires belges. Ceci a permis la formation de 1792 infirmières de plus et il faut en compter également 800 ayant été formées avant et pendant la guerre qui ont travaillé dans des hôpitaux belges.
Le troisième chapitre traite de l’organisation professionnelle des infirmières auxiliaires belges ou plus exactement des tentatives d’unification de celles-ci en une seule et même organisation.
Au cours des combats, l’auteur explique que certains ont tenté d’organiser les infirmières de Belgique de manière à développer une identité professionnelle. Il s’agissait là principalement d’une initiative de Marie Elisabeth Belpaire (1853-1948) qui avait déjà organisé une association de femmes pendant le conflit mondial. Celle-ci commença à éditer la revue mensuelle Pour les Nurses dans la zone non-occupée qui s’adressait aux infirmières belges. Son idée à travers ses publications était de créer une identité commune aux membres de la profession. En vain…
Le quatrième chapitre revient sur les représentations autour des infirmières de guerre belges. La façon de percevoir les infirmières belges au cours de la guerre est assez complexe. L’image prédominante était celle de l’infirmière mère et soignante. Il insiste néanmoins sur d’autres images telles que celle de l’infirmière prostituée et de l’infirmière nymphomane. Bien que l’image de l’ange blanc ait été la plus fréquente une fois la guerre achevée, ce n’est pas celle qu’on pouvait retrouver pendant le conflit. Il s’agirait donc bien d’une construction d’après-guerre. Pour cette partie, l’auteur nous livre une foule de témoignage d’infirmières découverts dans leurs journaux intimes. On évite donc d’avoir un regard exclusivement masculin sur le vécu de ces femmes.
Le cinquième et dernier chapitre conclut avec l’évolution de la profession d’infirmière à la sortie de la Grande Guerre. Pendant celle-ci, les formations d’infirmières n’ont pas connu un franc succès et n’ont ainsi pas bénéficié de l’image positive qui est restée dans les mémoires une fois la guerre achevée. En 1921, une nouvelle législation sur la formation des soignantes entrait en vigueur prenant compte de l’expérience acquise sur le champ de bataille. C’est finalement de là, en 1922, que viendra une plus solide tentative d’unir les infirmières sous une même organisation professionnelles, résultant de l’influence de certaines infirmières étant allées sur le front. Malgré cette tentative, il fallait encore compter avec le scepticisme des médecins qui perdurait encore. En effet, les infirmières leur restaient soumises, ne voyant guère de signe d’émancipation envisageable. Les écoles d’infirmières elles-mêmes ne rencontrant plus le succès de l’avant-guerre et leur prestige se voyant limité pendant et dans l’immédiat après-guerre.
« Guérir quelques fois, soulager souvent, consoler toujours » était la devise inscrite sur l’insigne des infirmières du plus grand hôpital du front, l’Océan. Ces trois missions n’étaient certes faciles à réaliser pendant le conflit. Luc De Munck a d’ailleurs pu mettre en évidence, grâce aux archives consultées, que les infirmières belges ont généralement réussi à mener à bien cette triple mission. Concernant l’aspect de « consolation », celui-ci semblait provenir considérablement des racines catholiques du nursing en Belgique et prendre une place conséquente pendant la guerre.
Ce livre constitue donc une excellente manière d’acquérir rapidement une bonne vision générale du travail, de la formation et des représentations des infirmières dans l’avant, pendant et après-guerre. En effet, les données quantitatives relevées ne permettent malheureusement pas de se représenter le profil des candidates infirmières. Quel était leur milieu socio-économique d’origine ? Y avait-il grâce à cette profession des possibilités de mobilité sociale ? Quelles étaient les motivations pour cette profession et y a-t-il eu une évolution dans ces motivations ? De combien de patients parvenaient-elles à s’occuper ? Qu’advenait-il de celles qui abandonnaient face à la pénibilité du travail ? Etc. Si des sources sur ceci existent, il serait utile de s’y plonger afin de prolonger la voie ouverte par cet ouvrage.
Références
- De Munck, Luc, De Grote Moeder in de Grote Oorlog. De hulpverlening van het Rode Kruis tijdens de Eerste Wereldoorlog (Ipres: Flanders Field Museum, 2000).
- De Munck, Luc - Vandeweyer, Luc - De Schaepdrijver, Sophie, Het hospitaal van de koningin. Rode Kruis, L’Océan en De Panne 1914-1918 (La Panne : Administration communale de la Panne, 2012).
- De Munck, Luc, De artistieke contacten van koningin Elisabeth. 1914-1918 (La Panne, 2016).
- Reding, Raymond, La Panne 1914-1919. Une aventure belge au cœur de la tourmente (Bruxelles : Jourdan, 2014).
- Octobre 1915. Une infirmière devenue martyre. Edith Cavell est fusillée (Zellik : Les journaux de guerre, 2014).
- Van Wesemael, Fabian, Helden in het hospitaal? Een gendergeschiedenis van ervaring van verpleegsters en artsen in hun omgang met gewonde soldaten en lichamelijkheid tijdens de Eerste Wereldoorlog, Masterproef, (Gent : Universiteit Gent, 2013).