Une histoire en marge au cœur d’un colloque : l’histoire du lesbianisme en Belgique
En février 2024, un colloque de l’ULB a exploré une thématique peu étudiée parmi les historien.nes : « I’m a lesbian, et j’ai une histoire. » Pendant trois jours, des chercheuses ont discuté de l’histoire des lesbiennes, qui ont la particularité de former « une minorité parmi une autre minorité. » Cette mise en valeur d’une histoire peu connue dont l’historiographie reste à construire rentre pleinement dans une nouvelle approche, celle de l’histoire en marge, porteuse de sens dans la société contemporaine. Cette initiative de Cécile Vanderpelen, historienne spécialisée dans le catholicisme contemporain, et de Valérie Piette, professeure d’histoire contemporaine dont les recherches portent sur le genre, la sexualité et l’histoire des femmes, fut un succès. Valérie. Piette a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet passionnant.
D’où est venue l’idée de ce colloque avec une thématique si originale ?
Je crois qu’il y a plusieurs choses. Il y a des choses très pragmatiques : j’ai dirigé un mémoire il y a douze ou treize ans de Mathilde Messina consacré aux Biches sauvages, une communauté lesbienne radicale à Bruxelles dans les années 1970. Il s’agit donc d’une histoire de la communauté, mais aussi du lesbianisme radical des années 1970, inconnue en Belgique. Elle avait postulé au prix Delors, le prix du meilleur mémoire sur les questions LGBTQIA+ et cela avait été un vrai débat. J’étais membre du comité scientifique, et elle n’avait pas obtenu le prix même si tout le monde disait que c’était le meilleur mémoire… parce que c’était de l’histoire. Ils voulaient des mémoires qui pouvaient « servir. » Cela a été un débat au sein de la communauté LGBTQIA+ : est-ce que ça sert de faire de l’histoire ? Un débat qui nous renvoie nous, historiens et historiennes, à plein de choses. Cela a été l’épine à la conscience des membres de ce comité, et dix ans plus tard, ils ont organisé le prix des dix ans et l’ont remis à Mathilde Messina, car ils se sont rendu compte de la qualité du mémoire. (…) Elle avait interviewé pour son mémoire Isabelle Dargent, une des membres de cette communauté, qui avait gardé des archives pendant des années. Elle ne voulait pas les déposer à l’époque. Elle est décédée récemment. Une partie de ses archives a pu être reprise par le Carhif, le centre d’archives sur l’histoire des femmes. S’est alors posée la question de la mémoire et de l’histoire que l’on n’a pas.
L’autre aspect, c’est que Cécile et moi travaillons sur les questions de genre, de féminisme, sur les questions de sexualité, et à un moment donné est venue l’idée : « quid des lesbiennes dans tout cela ? » L’histoire gay est mieux connue, l’histoire trans est encore à écrire, l’histoire des bisexuels aussi. (…) Évidemment, venant de l’histoire des femmes, du féminisme et des sexualités, il était presque naturel un jour que j’arrive, en tout cas moi, à me questionner. La rencontre de cela, du prix de Mathilde, de cette mémoire qui s’en va – Irène Kaufer, une militante lesbienne importante qui faisait la nuit bruxelloise comme DJ et comme artiste qui est décédée il y a quelques années – toute cette mémoire part et n’est pas gardée. (…) Et donc, naturellement, est venue l’idée de commencer cette histoire compliquée, car c’est une double invisibilité : les lesbiennes sont présentes dans le mouvement néo-féministe, mais en fait elles sont invisibles, car lesbiennes ; et dans le mouvement LGBT, on sait que le « G » a pris toute la place ou une grande partie de la place. Cette double invisibilité nous a titillées en termes d’historiennes, en termes de sources pour faire cette histoire. On s’est lancées d’abord dans une causerie avec des lesbiennes plus âgées qui nous ont soutenues et qui ont tenté de retrouver des témoignages, des mémoires (…). Pour nous, c’était l’idée de faire des « archives lesbiennes », de garder une mémoire d’abord, pour le Carhif en partie, pour les lesbiennes plus âgées (nées avant 1973, avant le néo-féminisme). Et c’était l’année 2023 qui était visée, on voulait toucher le septantième anniversaire du Centre de culture et de loisirs et du poids qu’a été une femme, Suzan Daniel, dans l’histoire LGBT belge. On a décidé d’abord de collecter, et en même temps on s’est dit qu’il fallait absolument faire un colloque et questionner en tant qu’historiennes ces questions dans l’histoire. Il y a l’histoire du lesbianisme qui est un peu mieux connue, et il y a l’histoire des lesbiennes, où là c’est une grande invisibilité parce que tout est fait de secrets. Comment percer le secret ? En a-t-on le droit ? Ce sont toutes des questions que tous les historiens se sont posées une fois dans leur vie par rapport à leurs sources et par rapport aux individus : peut-on le faire ? Doit-on le faire ? Comment le faire ? On s’est lancées dans cette aventure.
Est-ce que ce fut évident de trouver des expert.es ?
Ce n’est pas si simple. (…) Il y a quelques noms à l’étranger relativement connus – Christine Bard en France par exemple – mais on trouve plus de sociologues ou de politologues sur ces questions, et beaucoup moins d’historien.nes. Mais cela a soulevé une forme d’enthousiasme. C’est un des premiers colloques sur ces questions et donc c’était enthousiasmant, il y avait du monde ! Cependant, il fallait aussi faire extrêmement attention, comme toutes les questions qui touchent aujourd’hui aux sexualités, aux mouvements sociaux, etc., pour l’histoire contemporaine, à avoir ce côté experts et scientifiques académiques d’un côté, et le monde militant qui voulait assister au colloque. On ne parle pas de la même voix, et il faut concilier ces voix, je crois, et voir comment sans perdre chacun.e notre spécificité et notre expertise. C’était un pari un peu fou. La liste de départ qu’on avait était intéressante, on a eu pas mal d’appels de l’étranger, des personnes sont venues de France par exemple après avoir vu l’annonce. C’était intéressant.
Donc, cela a été un succès ?
Oui, un vrai succès. On a eu des demandes sur plein de choses. On a mis en avant des lesbiennes décédées et peu connues. Irène Kaufer, Bisou, Isabelle Dargent. C’était assez évident. Mais il y en a eu d’autres. Cécile, ma collègue, a travaillé sur l’histoire de la figure littéraire de Françoise Mallet-Joris, qui a été la figure littéraire belge et la compagne de Marie-Paule Belle. On disait parfois qu’elle était lesbienne, mais ce n’était pas revendiqué en tant que tel. Elle a retrouvé, grâce au Musée de la littérature avec lequel on a pas mal travaillé, des archives fascinantes et inconnues (…). Il y a eu cet aspect-là, et moi j’ai travaillé plus sur une figure que je trouve passionnante : Éliane Morissens. On a beaucoup parlé de l’affaire Vincineau. L’affaire Morissens est passionnante, c’est un peu le pendant lesbien, puisqu’au début des années 1980, elle passe dans une émission de la RTB dévoilée, c’est une première émission sur les lesbiennes en Belgique. Elle se revendique lesbienne, elle le dit, elle l’affirme. Il s’avère qu’elle est enseignante dans une école dans le Hainaut, elle dit aussi qu’elle a postulé à la direction de l’école et qu’on lui a dit que, puisqu’elle était lesbienne, elle ne pouvait pas être directrice. Le lendemain de l’émission, elle est mise sur le côté, elle est virée. Elle va, toute sa vie, se battre : elle fait une grève de la faim, elle va à l’Europe, elle fait des appels. On parle beaucoup de double et triple identité : qu’est-ce qu’on est ? On ne met jamais les lesbiennes en avant. Quelques fois dans les notices biographiques, on voit une petite référence sur le fait qu’une femme est lesbienne, comme si ce n’était pas important. Une fois qu’on fait le tour, on se rend compte qu’il y en a énormément (dans les milieux artistique, sportif, politique, etc.), mais beaucoup cachées. C’est aussi intéressant : doit-on le dire ou pas ? Ce sont des questions passionnantes, y compris pour des femmes décédées. Éliane Morissens est peut-être la seule où l’identité première est son lesbianisme, et à avoir mis sur la table la question du lesbianisme au début des années 1980. Cela a fait bouger le politique. (…) Ce colloque est donc un momentum, une réalisatrice présente dans la salle m’a par la suite envoyé un courrier en me disant qu’elle veut faire l’histoire de l’histoire d’Éliane Morissens et voir comment une historienne d’aujourd’hui peut rendre hommage en faisant l’histoire, en rendant visible cette femme. C’est un exemple parmi d’autres, mais cela a ouvert plein de portes. (…) C’est l’occasion d’ouvrir les voies et de faire comprendre au public et aux associations LGBTQIA+ et à d’autres types de mouvements sociaux aujourd’hui à quel point leurs archives sont essentielles pour les historiens de demain. Et ce n’est pas gagné… (…).
Parlons de la démarche maintenant. Les lesbiennes sont multiplement sous-représentées dans la communauté LGTBQIA+. Quels sont les défis pour l’historien.ne qui veut se lancer dans cette histoire ?
L’accès aux archives, pour la plupart inexistantes. Il faut donc créer ses propres archives, on est souvent dans l’histoire orale, mais donc uniquement pour une partie du XXe siècle. Créer ses propres sources donc, c’est toute la question de l’histoire orale qui va naitre plus ou moins au même moment que l’histoire des femmes. Et ce n’est pas anodin.
Une fois qu’on a trouvé les sources, il faut que les gens acceptent de parler, ce qui n’est pas gagné, donc on a eu des débats assez passionnants : faut-il être lesbienne pour faire l’histoire des lesbiennes ? Faut-il être hétéro pour faire l’histoire des hétéros ? En fait, faut-il être fasciste pour faire l’histoire du fascisme ? Je dis cela parce que je pense qu’il faut renvoyer la balle, car on est toujours questionné.es sur ces questions-là. Faut-il avoir été au Congo pour faire l’histoire coloniale ? Ce sont des questions que j’ai avec mes étudiants. Ça parait simple d’y répondre quand on est historien.ne, mais quand ils sont face à vous, ce n’est pas si facile. Il faut savoir discuter longtemps. Mais c’est passionnant. Il y avait évidemment des lesbiennes dans le comité qui a porté le projet, mais aussi des hétéros. Ce sont des questions qu’il faut se poser pour interviewer quelqu’un, que la personne accepte de parler, parce qu’on touche à l’intimité. Mais qu’est-ce que le lesbianisme ? Comment se définissent ou pas ces femmes ? Lesbiennes, gouines, homosexuelles, des femmes qui aiment les femmes, avoir au moins eu quelques relations lesbiennes dans sa vie ou pas, etc. Toutes ces questions de méthodologie ont été posées.
Un des défis essentiels est de montrer que c’est une histoire fascinante et essentielle. Faire preuve d’ingéniosité, face au fameux secret, car c’est une histoire de non-trace, de secret, d’intimité, de non-dit, de codes. Comment débusquer ces codes ? Comment faire parler le secret, le non-dit, le silence ? Ces fameuses femmes qui vivaient, y compris au XIXe siècle, entre elles, « entre amies », que l’on retrouve dans les registres de population ou ailleurs, etc., et dont on disait que c’étaient des amies qui vivaient ensemble ? Maintenant, doit-on généraliser ? Toutes les femmes qui vivaient ensemble sont-elles des lesbiennes ? C’est difficile à percer. Il y a des cas de figures de lesbiennes extrêmement connues en Belgique qui ont brulé leurs archives, car elles ne voulaient pas que ça se sache. Comment faire face à ce tabou terrible sur l’homosexualité ? Et puis, un des soucis que nous avons, à part pour l’affaire Morissens, l’homosexualité n’a jamais été criminalisée en Belgique. Je dis que c’est « un drame pour les historiens », à la différence d’autres pays, où l’on a des procès d’archives. Je ne dis pas qu’elles n’ont pas eu de soucis, puisqu’elles se cachaient, il y a eu des descentes de police dans des cafés ou bars lesbiens encore dans les années 1960-1970-1980, certaines ont été poursuives pour des affaires des mœurs. Mais ce sont des registres de police et ces sources ne sont pas ou peu gardées, et c’est donc chercher une épingle. Tandis que quand il y avait des procès en assises ailleurs, on retrouve ces procès qui sont un début passionnant pour faire l’histoire des lesbiennes. Il y a l’histoire littéraire aussi : Françoise Mallet-Joris est un cas fascinant. Elle laisse une correspondance qui n’avait jamais été vue. Mais est-ce qu’on peut, à partir de romans, extrapoler ? Au cours de ma carrière, j’ai travaillé sur les domestiques, sur le travail des femmes, sur l’histoire coloniale, sur l’histoire des sexualités. Tous ces sujets posent des défis méthodologiques que je retrouve aujourd’hui sur l’histoire des lesbiennes.
Quels sont les grands axes de recherches présentés dans le cadre du colloque ? Comment s’articule l’histoire du lesbianisme ?
Pourquoi faire l’histoire du lesbianisme ? Le remettre dans un contexte sociopolitique d’après les années 1950 et certainement à partir des années 1970, et en même temps ne pas oublier le XIXe siècle et de là, comment dénicher, comment faire cette histoire ? Il y avait cet axe méthodologique : la question du secret, la question des personnalités – faire l’histoire du lesbianisme par la biographie d’une certaine manière – avec ces figures comme Morissens, Françoise Mallet-Joris et comme d’autres. Il y avait aussi l’axe visant à préserver les archives, et donc là travailler avec des archivistes – il y avait des archivistes de Bruxelles, les archives Suzan Daniel à Gand, les archives du Carhif – mais aussi des mouvements militants, et d’essayer de questionner l’importance de ces archives.
Dans l’historiographie, existe-t-il déjà des ouvrages ou des recherches de référence en Belgique sur cette histoire ?
Peu. On les cite toujours dans des histoires plus globales, comme l’affaire Morissens. Dans l’histoire du féminisme, il y a toujours quelques lignes ou quelques pages, mais c’est très limité. Dans le dictionnaire sur l’histoire des femmes, il n’y a pas d’entrée « lesbienne. » En histoire de la sexualité, on a fort peu de choses en Belgique. On a plus travaillé sur l’hétérosexualité ou le mouvement homosexuel des hommes (là, on a des choses). On peut toujours travailler en miroir, mais c’est difficile. (…) Il y a très peu de bases, même la presse ne nous aide pas, et on arrive à une histoire qui elle commence à être connue : l’histoire militante des lesbiennes. Mais est-ce que c’est l’histoire des lesbiennes ? Ce n’en est qu’une partie, ce n’est sans doute pas l’histoire des lesbiennes qui se cachent, se taisent, qui sont nombreuses, mais qu’il faut débusquer.
Est-ce que l’on pourrait faire une sorte de chronologie pour l’époque contemporaine de cette histoire ?
On essaie, mais c’est une histoire politique du coup, et moins individuelle de fait. Oui, il y a des dates comme l’affaire Morissens ou l’article 372bis. Il y a des jalons dans l’histoire des lesbiennes, bien sûr. Il y a des modèles aussi. Une anecdote : toutes les lesbiennes interviewées ont des modèles. L’identification est intéressante, ce qu’on ne pose jamais pour les hétéros alors que là aussi, l’identification est intéressante. Une figure pour la tranche des 55+ans est Martina Navratilova, dans l’histoire du sport. On a questionné aussi l’histoire du sport. Par exemple, à Bruxelles, le BGS (Brussels Gay Sport) est une association avec huit-mille personnes, la plus grosse association LGBT de Belgique. Toute la question sportive, la question de l’entre-soi ou pas, la non-mixité sexuelle ou sexuée, tout cela a été questionné. Oui, la chronologie se fait avec des moments clés. (…)
Peut-on rapprocher cette histoire d’autres formes d’histoire marginale ?
Oui. On a parlé d’intersectionnalité : l’histoire trans est à faire, l’histoire de l’immigration, des migrantes, tout ce qui touche à nos différentes identités. Je crois que cela fait partie de l’histoire des minorités… qui sont en fait majoritaires. Toutes ces histoires peu connues. Celle des femmes ? Est-ce que l’histoire des femmes a sa place aujourd’hui ? Tout n’est pas complètement acquis non plus, même dans le monde académique ! En termes historiques également.
Ces militantes, comme d’autres, ont leur rôle dans la société. En quoi l’histoire peut-elle les aider dans leur démarche ?
Moi, je crois que l’histoire peut les aider même si je sais qu’on n’est pas tous d’accord sur la question. Je crois, et c’est aussi comme cela que j’ai essayé de vendre le colloque, qu’avoir une histoire est fondamental. Je m’en rends compte de plus en plus pour l’histoire de toutes les minorités. Savoir qu’il y en a eu d’autres que nous, ne pas repartir de zéro. Je crois qu’il est essentiel d’avoir des modèles. Sœur sourire est-elle un modèle ? C’est une histoire qui finit mal. Ne pourrait-on pas avoir de modèle plus positif pour les jeunes générations ? On peut partir sur le nom des rues, les statues, l’espace public, je crois qu’il y a des modèles qu’il faut rechercher dans l’histoire, car l’histoire n’a pas gardé de trace. Voilà pourquoi Vincineau est beaucoup plus connu que Morissens, alors qu’ils.elles ont marqué ces années 1980, et toutes ces questions de minorités sexuelles, et puis de SIDA, et puis le mariage, etc. Oui, je suis persuadée qu’un mouvement quel qu’il soit aujourd’hui sans histoire est un mouvement « mort. » (…) Et notre société a besoin d’histoire, peut-être plus que de mémoire. Alors, ici, je sais que c’est entre les deux, mais je crois que l’histoire de l’homosexualité, des minorités sexuelles, doit être présente dans les écoles secondaires, comme je le crois pour l’histoire de la colonisation et des migrations. Ce n’est pas encore gagné non plus, mais ça éviterait des ennuis dans notre société d’aujourd’hui. Oui, je pense que l’histoire peut servir, mais qu’elle doit garder son aspect académique et scientifique. C’est pourquoi je parle toujours de faire attention et dans tous mes cours et au colloque, de ce qui est de l’histoire et de ce qui ne l’est pas, tenter de faire cette frontière parfois difficile à faire. Je crois que c’est important.
Vous avez parlé d’une histoire du lesbianisme faite par les lesbiennes. Est-ce possible ? Y a-t-il des avantages ou des inconvénients ?
Disons que c’est une question qu’on pose toujours aux lesbiennes ou aux gays. J’ai fait de l’histoire de l’hétérosexualité avec d’autres et on ne m’a jamais posé la question de savoir si j’étais hétéro ou pas. Donc, c’est une question qui m’embête. Ce sont des questions qu’on pose toujours pour des minorités, alors que je pense que tout historien s’il veut être vraiment objectif avec lui-même, ne travaille jamais sur un sujet par hasard. La question est de savoir pourquoi. En posant cette question-là, alors je crois qu’on peut être le plus objectif possible. Je crois que pour tout ce qui est de la norme dans la société, les historiens ne se posent pas ces questions. On reproche toujours aux minorités cela. Par exemple, on a reproché à José Gotovitch d’être un communiste qui travaille sur le communisme. Oui, pourtant sa thèse a été considérée comme l’une des meilleures qui soient. Donc, je crois que ça s’est toujours posé et un peu méprisé par cette adéquation entre le thème et l’individu. Je suis plusieurs identités, et je suis une historienne, avec une discipline, avec une méthode. Je suis aussi une femme qui a travaillé sur le féminisme, mais j’ai aussi travaillé sur la colonisation alors que je n’ai aucun lien avec le Congo… Dans ce cas, on peut me reprocher que je ne sois pas noire ! Je trouve que ça questionne. Si c’est se questionner sur nos rapports à nos thématiques de recherche, je trouve cela passionnant. (…)
Quels conseils donneriez-vous à un.e historien.ne qui se lance dans une histoire similaire ?
De ne pas trop se poser de questions au départ. Lire beaucoup, questionner son rapport à son objet de recherche. De prendre le plus de recul par rapport à son objet de recherche, de le questionner. D’inventer des sources, de les construire, d’ouvrir toutes les portes, et de pouvoir travailler sur des sources de natures extrêmement différentes. C’est cela qui est fascinant, mais difficile. Je crois que ce sont des histoires magnifiques quand elles sont réussies, parce qu’il faut pouvoir, à la différence d’autres thématiques, questionner, utiliser des sources très différentes, mais aussi les questionner intelligemment et pouvoir varier cet éventail de sources. Je leur dirais de s’accrocher aussi, car quelques fois il y a des sourires ou des remarques dans la communauté historienne ou universitaire. Mais en même temps, je crois que l’histoire a besoin de ce type d’histoire. Je crois que c’est amener la pierre à l’édifice de l’histoire contemporaine.
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