Le fonds Suzy Falk
Dylan Fluzin, Archives et Musée de la Littérature (AML)
Née de parents juifs à Düsseldorf le 23 novembre 1922, Suzy Falk quitte l’Allemagne nazie avec sa famille en 1934, et s’installe en Belgique. Avec la menace d’un conflit généralisé en Europe, les Falk envisagent un nouvel exil en Amérique du Nord. Cependant, la mort prématurée du père de Suzy Falk condamnera mère et fille à vivre la Seconde Guerre mondiale de l’intérieur. Entre les faux certificats de maladie et les nuits au fond d’une cave, c’est grâce à un jeu de cache-cache sinistre qu’elles échapperont à la déportation. Est-ce ce lourd passé ou simplement une bonne nature qui feront de la petite Suzy de 12 ans une femme dont la joie de vivre et le sourire deviendront la signature ? Une chose est certaine, la comédienne a offert à la Belgique et à l’art dramatique une carrière aussi prolifique qu’étonnante.
Il est impossible de réduire la variété des activités de Suzy Falk à une liste de noms d’auteurs, de pièces de théâtres ou de films. Le fonds d’archives conservé aux AML, déposé successivement par la comédienne elle-même puis par Christine Simeone après la mort de cette dernière (2015), regorge bien entendu de traces de ces collaborations, des plus prestigieuses aux plus modestes. Des brochures des textes appris par cœur aux notes de mises en scène apprises par corps, l’ensemble des documents atteste d’une carrière riche de rencontres, depuis les années 1950 jusqu’au début du XXIe siècle.
Théâtre, cinéma, télévision, radio : Suzy Falk est une véritable « bête de scène » et il est courant de lire à son propos qu’elle a tout joué. Des textes les plus classiques aux vaudevilles les plus farceurs en passant par la grande époque du « théâtre épique » de Bertolt Brecht au Théâtre National de Bruxelles. Son interprétation remarquée de Mère Courage en sera le point d’orgue. Ses archives rendent compte de cette profusion, tout comme le moteur de recherche SCAPIN.
Si sa carrière de comédienne est bien connue, il n’en va pas de même de ses activités de mise en scène. Si elle a reçu, en 1990, l’Ève du Théâtre pour sa performance dans Ni chair ni poisson de Rudy Geldhof, dans l’adaptation de Liliane Wouters au Théâtre du Grand Midi à Bruxelles, l’on oublie souvent que c’est elle qui en fut la metteuse en scène. Et il ne s’agit pas d’une expérience unique : ce pan d’activité s’est en effet déployé des années 1980 au début des années 2000 dans le théâtre amateur. « Amateurs au sens amoureux », répondra Suzy Falk aux journalistes qui l’interrogeront sur cette question. Les documents du fonds témoignent ainsi de vingt ans de mise en scène en collaboration avec l’Association bruxelloise et brabançonne des compagnies dramatiques, dans l’ombre du théâtre professionnel.
Véritable gazetophiliste, la comédienne a également conservé près de 65 années d’articles de presse. Des critiques théâtrales (Jacques Lemarchand, Francis Ambrière, Jean-Pierre Cordier ou Maggy Thomon) aux articles consacrés à la succession de Jean-Claude Drouot à Jacques Huisman en tant que responsable du Théâtre National, les documents minutieusement collectés par Suzy Falk témoignent de la richesse de la vie théâtrale francophone belge au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Un sujet – épineux s’il en est – est particulièrement documenté : le statut de l’artiste en Belgique. La compilation commence au début des années 1970, par les premiers rapports sur la situation des acteurs dans le cinéma belge, elle se poursuit avec la succession de conventions collectives d’entreprise de différents théâtres, comme le Rideau de Bruxelles et le National. Le fonds atteste également des conventions collectives sectorielles, notamment celle du théâtre francophone, ainsi que plusieurs rapports sur la politique culturelle en Belgique, plus spécifiquement sur la situation du théâtre francophone en région bruxelloise. S’y trouvent aussi un dossier de propositions de la Communauté française de Belgique élaboré en 1993 avec le Centre d’étude et de recherche pluridisciplinaire en droit, économie et sociologie de l’ULB ou encore un ensemble de documents issus de syndicats et d’associations qui ont milité en faveur de l’établissement d’un statut fiscal et légal de l’artiste en Belgique.
À la lumière de ces archives, Suzy Falk apparaît telle qu’en elle-même : une artiste prolifique et une femme solaire, à la fois enthousiaste et engagée.
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