Rochtus, Dirk, Naar de hel met Hitler. Verzet in het Derde Rijk (1933-1945) (Anvers: Vrijdag, 2021), 263 p.
Christoph Brüll
Politologue, spécialiste en relations internationales et germaniste, Dirk Rochtus est depuis longtemps un passeur scientifique entre l’Allemagne et la Flandre. En témoignent ses publications scientifiques mais aussi les nombreuses chroniques qu’il publie sur des sites d’information flamands. Dans sa plus récente publication, il traite de la Résistance à Hitler et au national-socialisme en Allemagne entre 1933 et 1945. Il y raconte l’histoire des Allemandes et Allemands qui se sont activement opposés au régime et ont ainsi sauvé de eer van Duitsland voor de buitenwereld (quatrième de couverture). L’ouvrage s’adresse à un large public souhaitant aborder un sujet important derrière lequel se cache un complexe historiographique et mémoriel qui en dit long sur l’évolution de la confrontation critique avec le national-socialisme en Allemagne. Il suffit de rappeler à cet égard qu’une partie non négligeable de la société (ouest-)allemande a longtemps considéré que les militaires impliqués dans l’attentat contre Hitler le 20 juillet 1944 étaient des traîtres.
Ces controverses ne sont pas absentes de l’ouvrage de Rochtus, mais il n’en fait pas le sujet principal. Dans la bibliographie, on chercherait en vain les références qui témoignent des discussions très âpres qui ont pu animer les historien·e·s allemand·e·s autour de ces questions (parfois sur fond de problématiques générationnelles) et qui ont souvent trouvé leur place dans les Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte. Faire l’économie de ces débats est tout à fait légitime : Rochtus se concentre sur les événements eux-mêmes et dresse un vaste panorama des groupes de Résistant·e·s en Allemagne. Celui-ci comporte de nombreuses miniatures biographiques qui rendent la lecture agréable et constituent parfois des découvertes. L’ouvrage bénéficie d’un style vif et d’un réel soin apporté à la remise en contexte des différents groupes de Résistance. Pour les connaisseurs de l’Histoire de l’Allemagne, l’espace occupé par ces pages peut parfois paraître surprenant, mais il est nécessaire pour un public dont on peut légitimement penser qu’il ne maîtrise pas, par exemple, la chronologie serrée si importante entre janvier 1933 et la consolidation de la dictature hitlérienne durant l’été 1934 (une chronologie générale se trouve en fin d’ouvrage). Ces développements sont par ailleurs très utiles pour comprendre les différences entre dissension, opposition et résistance qui s’expriment après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Hitler.
On peut juste regretter que l’auteur ne conceptualise pas davantage. Quand il déclare dans l’introduction que taalrijke officieren, ambtenaren, geestelijken, arbeiders en studenten […] hun hachje riskeerden in de zoektocht naar een alternatief voor Hitler (p. 6), on comprend qu’il veut expliquer que cette attitude était plus répandue que ce que le public peut croire aujourd’hui, mais face à la capacité de mobilisation massive du national-socialisme, on ne peut s’empêcher de penser « si seulement… ». Les ouvrages d’une série comme Die Deutschen und der Nationalsozialismus (C.H. Beck, depuis 2015) ont réussi à combiner conceptualisation et narration (en mobilisant systématiquement des documents (auto-)biographiques) et à analyser plus en profondeur ce qui reste souvent plus descriptif dans l’ouvrage de Rochtus. Leur approche permet entre autres de mieux saisir ce qui différencie une attitude d’opposition du passage à une Résistance active. Rochtus présente toutefois un exemple très frappant pour cette problématique dans le domaine politico-administratif en la personne de Johannes Popitz (sfinx in de nationaalsocialistische bureaucratie), adepte de la « révolution nationale », ministre des Finances de la Prusse, devenu proche de la Résistance, arrêté et exécuté à la suite du 20 juillet 1944.
Le grand avantage de l’approche de Rochtus réside incontestablement dans sa volonté de montrer la Résistance active dans toutes ses dimensions, plus précisément dans toutes ses fragmentations qu’il tient d’ailleurs pour responsables du fait que la Résistance ne se soit pas transformée en révolte ou en insurrection de masses (p. 228). Il s’intéresse à la Résistance issue de tous les courants politiques, des Eglises, de la jeunesse (la Weiße Rose étant bien sûr l’exemple le plus connu) et du monde ouvrier, mais également aux solitaires dont Georg Elser, auteur d’un attentat en novembre 1939 – le fait que ce dernier ait fait une cinquantaine de victimes servant aussi d’exemple pour réfléchir à l’absence presque complète de violence dans la Résistance contre le régime (p. 191, 229).
Parmi les exemples les moins connus de la Résistance allemande, Rochtus consacre quelques paragraphes au Herbert-Baum-Gruppe qui a incendié l’exposition nazie Das Sowjetparadies présentée à Berlin à l’été 1942. Le groupe présente la particularité d’être composé avant tout de Juifs communistes. Comme l’auteur le fait remarquer à juste titre, cela se traduit dans l’après-guerre sur le plan mémoriel : en RFA, si on le commémore, on met à l’honneur des Juifs allemands, en RDA des communistes (p. 163-165).
Il n’est pas possible ici d’entrer dans le détail de tous les développements de l’auteur. En conclusion, nous recommandons sans réserve la lecture de ce livre – les critiques reflétant davantage les limites de l’exercice. Naar de hel met Hitler est un ouvrage riche qui jette un regard frais sur cette autre Allemagne. Evoquant les voies oppositionnelles possibles sous le régime nazi, il montre les choix posés par des Allemandes et des Allemands sans les élever moralement sur un piédestal, mais en mettant en évidence et en contexte leur courage.