Le MOOC Histoire(s) de Belgique, support d’enseignement et outil de formation citoyenne
Catherine Lanneau, ULiège
Le phénomène MOOC
Les progrès des nouvelles technologies et des outils numériques, d’une part, et les recherches toujours plus poussées sur la pédagogie spécifique à l’enseignement supérieur, de l’autre, amènent un nombre croissant d’enseignants universitaires à réfléchir à leurs pratiques et à tirer profit des avancées dites « technopédagogiques » pour enrichir leurs cours. La pandémie de Covid 19 et ses confinements successifs ont achevé de convaincre les plus réticents de l’opportunité d’introduire une dose d’enseignement à distance dans leur arsenal didactique ou, à tout le moins, d’être prêts à en user si la nécessité s’en faisait de nouveau sentir.
Depuis le début des années 2010, les cours en ligne font partie des outils disponibles en la matière. Après une phase de développement exponentielle et quelque peu anarchique, le modèle bénéficie désormais d’une longévité suffisante pour pouvoir faire l’objet d’une réflexion critique sur ses nombreux apports mais également sur ses limites et ses potentielles dérives, que l’on songe aux risques de déshumanisation de l’enseignement, au renforcement de la concurrence entre universités ou à la marchandisation accrue des connaissances.1
En Belgique, les établissements d’enseignement supérieur ont généralement choisi le modèle des MOOCs (Massive Open Online Courses), fondé sur la gratuité et la mise à disposition très ouverte des contenus, pour peu qu’ils soient consultés dans un but non commercial et de formation. L’ULiège ne fait pas exception à la règle, même si certains cours spécialisés donnent droit à une certification payante. Proposés depuis 2015, les MOOCs ULiège sont conçus grâce à une cellule d’accompagnement technique et pédagogique appelée aujourd’hui la CARE Digital Tools et hébergés sur deux plateformes, l’une française (FUN MOOC), l’autre liégeoise (Job@skills). Vingt-quatre cours sont actuellement actifs, dans tous les domaines du savoir, et sept autres sont annoncés à la rentrée 2023. Les autorités universitaires, qui valident et financent les projets, ont formulé une seule exigence : que chaque MOOC soit pensé d’abord comme un instrument propédeutique facilitant l’accès à l’enseignement supérieur ou comme le prolongement d’un ou plusieurs enseignements dispensés à l’ULiège, en premier ou en deuxième cycle2.
Genèse et philosophie du MOOC Histoire(s) de Belgique
Le MOOC Histoire(s) de Belgique est né de la rencontre entre deux enseignants-chercheurs3, issus de deux disciplines et dispensant chacun, à l’ULiège, un cours dans le domaine. En Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie, Pierre Verjans, politologue, s’adresse à une cohorte de plusieurs centaines d’étudiants de première année tandis qu’en Philosophie et Lettres, mon cours est destiné à un groupe beaucoup plus restreint d’étudiants de deuxième année en histoire ou d’autres filières en option. Si l’envie de mutualiser nos forces et de davantage travailler ensemble sur le plan de l’enseignement et de la recherche nous séduisait, nous devions trouver une formule qui permette l’intersection entre nos approches et favorise l’interdisciplinarité, bref qui soit bénéfique à nos étudiants respectifs. Le cours en ligne nous est vite apparu comme un format adapté à nos objectifs.
Cependant, nous ne voulions pas que cette production neuve sur l’histoire de la Belgique soit réservée à un strict usage universitaire. Nous souhaitions remplir aussi notre mission sociétale en visant d’autres publics, qu’il s’agisse de profils proches de ceux de nos auditeurs libres, c’est-à-dire des personnes retraitées qui entretiennent leur culture générale, mais aussi des jeunes engagés dans des études éloignées de l’histoire, voire un public de promotion sociale ou d’éducation permanente. Nous pensions enfin aux primo-arrivants dans leur parcours d’intégration et, pour une utilisation ponctuelle, aux professeurs de l’enseignement secondaire. Ces différents publics ont été ciblés via une promotion adaptée au moment de la sortie du MOOC, mais les statistiques d’inscription ne permettent pas de quantifier précisément la part de chaque catégorie.
La conception d’un MOOC est un processus long, qui se décompose en six étapes : la préparation et la planification ; l’écriture des contenus et le tournage des capsules ; la production (montage, insertion des illustrations, préparation des supports annexes) ; l’implémentation sur la plateforme et la communication vers les publics visés ; la transmission et, enfin, l’évaluation en vue de la session suivante4. En ce qui concerne le MOOC Histoire(s) de Belgique, la maturation a été lente, depuis l’idée, lancée en 2018, jusqu’à la mise en ligne, en septembre 2020, en pleine crise Covid. Pour élaborer la structure du MOOC, nous avons adopté une logique susceptible de rassembler nos différents publics et de susciter leur intérêt. En effet, nous avons choisi comme point de départ la Belgique actuelle et les grandes questions de société aujourd’hui débattues pour ensuite mobiliser leur trame historique afin de les replacer dans un temps long.
Contenu du MOOC
Nous avons ainsi défini six thématiques centrales, qui constituent autant de modules. Chacun d’entre eux se décompose en diverses capsules vidéos (de cinq à neuf, selon les modules) d’une longueur moyenne de sept minutes.
Le premier module évoque d’abord l’histoire du territoire belge avant 1830. Il envisage l’évolution des frontières internes et externes de la Belgique au fil du temps, ainsi que les principales évolutions et transformations intervenues du Haut Moyen Age à Joseph II. Trois focus sont consacrés au facteur religieux dans la construction identitaire des Pays-Bas, aux prémices d’un sentiment national belge et à l’histoire particulière de la Principauté de Liège. Le module s’intéresse ensuite aux révolutions brabançonne et liégeoise, aux périodes française puis hollandaise et se clôt sur les causes et conséquences de la révolution belge de 1830.
Dans le module 2 sont envisagées les questions de démocratisation et de rapport aux pouvoirs, à travers l’évolution du droit de suffrage et celle du grand clivage politique entre « cléricaux » et laïques. C’est la pilarisation de la société belge puis sa progressive dépilarisation qui sont ainsi examinées. D’autres capsules traitent du rapport entre le citoyen et le pouvoir mais aussi des relations entre les pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, en ce compris l’amenuisement des pouvoirs royaux. Enfin, une attention particulière est portée à la lente acquisition de droits politiques par les femmes belges.
Le module 3 traite, quant à lui, de la question linguistique et communautaire. Il retrace les grandes étapes du mouvement flamand et du mouvement wallon avant de détailler l’impact des différentes réformes de l’Etat qui ont transformé la Belgique unitaire en un Etat fédéral. Le module s’achève avec une capsule spécifiquement dédiée à la Communauté germanophone.
Consacré aux questions économiques et sociales, le module 4 envisage d’abord le développement économique et financier de la Belgique, du début du 19e siècle à nos jours, puis la politique économique et fiscale menée par les autorités belges. Dans un troisième temps, il présente, sur le temps long également, le modèle belge de relations sociales entre travailleurs et employeurs, ainsi que la lente implémentation d’un droit du travail en Belgique. Ensuite, une capsule est consacrée aux mouvements sociaux, à leurs acteurs, leurs objectifs et leur répertoire d’actions. Enfin, le module traite des questions de migration, brossant l’histoire des flux migratoires et de leurs enjeux de 1830 à nos jours.
Le cinquième module a pour objet la politique étrangère belge, depuis la période de neutralité imposée jusqu’aux implications du multilatéralisme. Des focus sont consacrés au rôle de la Belgique dans l’OTAN et dans le processus d’intégration européenne. Une dernière capsule dresse le tableau des relations internationales de la Belgique fédérale et de ses entités fédérées depuis le milieu des années 1990.
Enfin, le module 6 est entièrement consacré aux relations entre la Belgique et l’Afrique centrale, plus particulièrement le Congo, le Rwanda et le Burundi. Des historiens et politologues belges et congolais évoquent l’histoire des territoires d’Afrique centrale, depuis la période pré-coloniale jusqu’à la fin du 20e siècle, tout en accordant une attention particulière à l’État indépendant du Congo puis à la période coloniale belge. L’évolution de la position des partis politiques belges par rapport à la colonisation fait également l’objet d’un focus. Enfin, la dernière capsule est consacrée à la politique africaine de la Belgique depuis la fin de la guerre froide.
Spécificités, apports et limites du projet
De nombreux MOOCs sont portés et incarnés par des équipes restreintes, qui enregistrent toutes les capsules, ce qui facilite le travail en termes de cohérence intellectuelle et de gestion des agendas pour les tournages. Toutefois, nous souhaitions, au contraire, ouvrir le projet à d’autres intervenants et multiplier ainsi les regards complémentaires. Nous avons veillé à solliciter à la fois des historien·ne·s, des politologues, des juristes, des économistes et des sociologues appartenant à diverses générations et communautés, au-delà de nos collègues directs de l’ULiège qui ont tous joué le jeu. Ainsi, le MOOC permet de retrouver à la fois Els Witte (VUB), Bruno De Wever (UGent), Jean Faniel (CRISP), Sébastien Dubois (USLB), Petra Meier (UA), Isidore Ndaywel (U. Kinshasa), Guy Vanthemsche (VUB), Christoph Brüll (U. Luxembourg) ou encore de jeunes doctorants en train de faire leurs armes. En outre, nous avons voulu tourner à la fois en studio et dans des lieux emblématiques, comme la Banque nationale, le Parlement de la Communauté germanophone ou le Parlement de Wallonie. Cette diversité de visages et de lieux constitue, à nos yeux, une des principales richesses du MOOC.
En marge des capsules elles-mêmes, plusieurs supports de formation sont mis à la disposition des étudiants. Certains d’entre eux sont classiques : une bibliographie, un glossaire, une chronologie. Nous avons également noué un partenariat avec le portail de l’Institut Destrée, « Connaître la Wallonie », pour pouvoir utiliser les cartes de leur atlas historique, réalisé avec le Service d’Etude en Géographie Economique Fondamentale et Appliquée (SEGEFA) de l’ULiège. Par ailleurs, les textes des capsules ont été retranscrits sous la forme de storyboards téléchargeables et de sous-titres. Pour l’instant, ils ne sont proposés qu’en français. Nous sommes conscients de l’importance de les traduire en d’autres langues (anglais, néerlandais et allemand) pour accroître la visibilité du MOOC mais les moyens financiers ne suivent pas nécessairement nos ambitions… Cette question du budget est l’une des limites du projet.
Pour favoriser l’interactivité, nous disposons d’un forum, qui permet à la fois l’échange entre les apprenants mais aussi un dialogue avec l’équipe technique et enseignante. Nous proposons enfin des quiz pour tester les connaissances. Cependant, le côté très cadré de l’exercice, rendu nécessaire par le grand nombre d’apprenants (6630 la première année, 3368 la deuxième), ne permet pas de poser des questions très fines ou de demander un travail de rédaction fouillé. Car tout l’enjeu d’un MOOC est aussi le support offert et les capacités de réactivité de l’équipe, ce qui nécessite une disponibilité que nous n’avons pas forcément. Si le numérique offre de belles possibilités, il se révèle aussi très chronophage dans un monde universitaire ou les ressources en encadrement se réduisent souvent à la portion congrue.
Cette difficulté en termes de ressources humaines est l’un des points d’attention pour les concepteurs. Il en va de même d’un certain nombre d’« angles morts », inévitables au vu du fil rouge choisi. Ainsi, nos apprenants regrettent que les deux guerres mondiales n’aient été abordées que de manière très indirecte. Elles mériteraient sans doute qu’on les évoque plus frontalement, d’autant que les connexions sont possibles avec d’autres outils numériques comme « Belgium WWII », la plateforme développée par le CegeSoma. Aborder la Seconde Guerre par son poids mémoriel ou par les débats historiographiques qu’elle suscite aurait du sens. De même, consacrer une capsule à l’évolution du paysage des partis politiques, de 1846 à nos jours, nous semble indispensable. Plus compliqué sans doute : comment aborder les questions culturelles, comment introduire cette dimension sans sombrer dans le cliché ou sans reproduire des stéréotypes ? L’une des possibilités serait de lier la question à celle de l’identité : existe-t-il un art belge, mosan, wallon ou flamand ? Nous ambitionnons d’opérer une actualisation et un enrichissement du MOOC pour la rentrée 2025, en capitalisant sur les enseignements et les conséquences de l’année électorale 2024. Ensuite, le bicentenaire de la Belgique constituera inévitablement un horizon et une échéance majeurs…
Webreferenties
- CARE Digital Tools: https://www.digital.uliege.be/cms/c_4844046/fr/digital
- Histoire(s) de Belgique: https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/histoires-de-belgique/
- « Connaître la Wallonie »: https://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr
- « Belgium WWII »: https://www.belgiumwwii.be/
Références
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Voir notamment Olivier, Jako & Rambow, Andreas, Open educational resources in higher education: a global perspective (Singapour: Springer, 2023); O’Connor, Kate, Unbundling the university curriculum: MOOCs, online program management and the knowledge question (Singapour: Springer, 2022).
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Bralić, Antonia & Divjak, Blaženka, « Integrating MOOCs in traditionally taught courses: achieving learning outcomes with blended learning », International Journal of Educational Technology in Higher Education, 15:2 (2018): 16 p. ; Defaweux, Valérie et alii, « To combine a MOOC to a regular face-to-face course – A study of three blended pedagogical patterns », dans: Calise, Mauro et alii, Proceedings of Work in Progress Papers of the Research, Experience and Business Tracks at EMOOCs 2019, Vol. 2356 (Aachen: CEUR Workshop Proceedings, 2019), 210-217.
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Sans oublier Audrey Weerts, l’assistante de Pierre Verjans, dont l’énorme travail de coordination et la participation à la conception du MOOC doivent être salués à leur juste mesure. Aujourd’hui, par ailleurs, Pierre Verjans est retraité et c’est son successeur, Geoffrey Grandjean, qui a repris la responsabilité académique du MOOC en Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie.
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Voir le schéma proposé par la CARE Digital Tools de l’ULiège.