Comptes rendus
 Retour à la revue

De Keulenaer, Paul, The Forgotten Children of the War. The Story of Regina and Georges, hidden Jewish Children (Bruxelles : Academic Scientific Publishers, 2023), 279 p.

-Frédéric Crahay, ASBL Mémoire d’Auschwitz

Durant les premières années de l’occupation allemande en Belgique, le filet va peu à peu se resserrer autour des Juifs présents sur le territoire du royaume. Rappelons ici, que seuls 5 à 6 % des Juifs présents avaient la nationalité belge. La grande majorité était d’origine étrangère et n’avait pas pu réellement intégrer le tissu social belge potentiellement protecteur. Dès décembre 1941, l’Association des Juifs en Belgique, créée par une ordonnance de l’occupant, va identifier et lister les Juifs. Les déportations commencent en été 1942, à la suite d’une convocation d’une partie de la population juive au SS Sammellager Mecheln, mieux connu sous le nom de caserne Dossin. Sous l’apparence d’une obligation administrative « légale » les nazis font venir leurs victimes vers eux. En septembre 1942, le Comité de défense des Juifs est créé pour organiser la résistance et la protection des Juifs en particulier. On pourrait supposer que tout un chacun connaisse le déroulé de cette histoire – qui est la nôtre – sur le bout des doigts. Force est de constater que les jeunes générations connaissent de moins en moins les deux guerres mondiales. Malheureusement, souvent parce que leur appétit de connaissance n’est pas stimulé par un matériel pédagogique adéquat. Avec The Forgotten Children of the War, l’auteur Paul De Keulenaer a dressé un bilan instructif et très lisible qui, espérons-le, fera des émules, maintenant que l’heure des « enfants cachés » a définitivement sonné. Le livre allie de façon exemplaire la rigueur de la recherche documentée à la pédagogie, mais aussi l’empathie que peut générer l’identification à des jeunes enfants juifs qui devaient se cacher pour survivre.

Le livre – rédigé en néerlandais, traduit en français, et ensuite en anglais – est certainement adapté à l’enseignement. Autour des personnages principaux, deux très jeunes enfants juifs cachés chez des citoyens belges par le Comité de défense des Juifs, Paul De Keulenaer – fort de son expérience dans le domaine de l’enseignement – offre le cadre nécessaire pour appréhender le contexte historique. En outre, il s’agit d’une histoire belge qui met en scène des Flamands et des Wallons « ordinaires », qui ont fait preuve d’une bravoure, d’une humanité et d’un désintéressement extraordinaires. En effet, ceux qui ont fourni une cachette aux Juifs pendant l’occupation nazie ont couru de grands risques. Les deux enfants dont il est question ici avaient des parents juifs venus de Pologne et cherchaient une vie meilleure à Anvers. Le garçon, Georges Suchowolski, y est né en 1936 et la fille, Regina Sluszny, en 1940. Alors que l’occupant allemand impose une emprise de plus en plus coercitive sur les quelque 65.000 à 70.000 Juifs que compte la Belgique, les familles Suchowolski et Sluszny – qui ne se connaissent pas –décident d’entrer dans la clandestinité en 1943. On pourrait arguer que ces deux enfants, si jeunes, ne pouvaient pas vraiment comprendre ce qui se passait, d’autant plus qu’ils étaient protégés par leurs parents. Mais ils en ont inévitablement gardé des souvenirs, qu’ils ont ensuite essayé d’assimiler, de sorte que le lien dramatique leur est progressivement apparu. Pour Georges Sucholowski, ce fut plus traumatisant que pour Regina. Il a survécu à plusieurs adresses en Wallonie, mais ses parents ont été dénoncés et sont morts assassinés à Auschwitz-Birkenau. Sa sœur et ses grands-parents ont été tués en août 1944, peu avant la Libération, lors d’une attaque de l’armée de l’air américaine sur Namur, lorsque la maison où ils étaient abrités a été touchée par les bombes. Regina a passé des années insouciantes dans un jardin d’enfants à Hemiksem, non loin d’Anvers, avec le couple d’épiciers sans enfants Charles Jacobs-Anna Van Dijck. Ses parents ont survécu. Georges et surtout Regina ont maintenu des liens très étroits avec leurs « parents » dans la clandestinité, même lorsqu’ils sont retournés dans leur famille juive après la guerre. Regina leur rendait visite chaque semaine et grâce à ses fonctions dans les organisations juives, elle a fait en sorte que les noms de « Charel et Anna » ainsi que ceux des « parents cachés » de Georges figurent désormais sur la liste d’honneur israélienne des Justes parmi les nations, aux côtés de ceux de 1.600 autres Belges. Regina et Georges se sont rencontrés en 1956 dans un cercle de chant juif et se sont mariés en 1960. Ils sont restés à Anvers et ont eu un fils et une fille. Régina est depuis plusieurs années présidente du Forum voor Joodse organisaties à Anvers. Son époux, Georges Suchowolski, s’est éteint en 2016.

Au cours de nombreuses conversations, Paul De Keulenaer a aidé Georges et Regina à replacer leurs souvenirs de clandestinité. Ces conversations, qui constituent la base du livre, ont eu lieu dans leur maison, mais aussi aux adresses où ils ont séjourné pendant leur enfance. Il s’agit parfois de confrontations sombres avec le passé, mais aussi de souvenirs reconnaissants à l’égard de leurs protecteurs, auxquels ils ont fait leurs adieux après la fin de la guerre. L’auteur y ajoute ses propres réflexions et des faits pertinents de la guerre et de l’après-guerre. Cet ouvrage, richement illustré et écrit avec fluidité, se lit comme le récit de la quête d’une identité perdue. Il rappelle aussi la difficulté de nombreux enfants cachés de parler ensuite de leur expérience. Ces mêmes enfants cachés qui sont restés longtemps dans l’ombre des rescapés des camps de concentration et des centres de mise à mort.

-Frédéric Crahay, ASBL Mémoire d’Auschwitz

Rejoignez-nous

Envie de participer à la création de la revue Contemporanea?
Consultez les liens ci-dessous