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Un pays sans politique étrangère ? Les questions de sécurité nationale en Belgique au 19e siècle

Christophe Chevalier, UCL

La Belgique, dès lors qu’elle se désolidarise du Royaume des Pays-Bas et proclame son indépendance, est l’objet de bien des interrogations de la part des grandes puissances européennes, qui doutent de sa viabilité et sont soucieuses quant à la possibilité de la voir tomber sous le giron français. C’est donc pour s’assurer de son indépendance que la Belgique se voit imposer une neutralité perpétuelle, celle-ci étant, tout comme son intégrité territoriale, garantie par les cinq grandes puissances européennes. Mais peut-on conclure de cette situation de neutralité garantie que la Belgique s’est toujours abstenue de se mêler des grandes questions européennes, adoptant systématiquement une attitude d’extrême réserve ? Qu’elle n’a jamais eu à se préoccuper de questions de sécurité nationale, se souciant prioritairement du développement de son économie et de son commerce ? Que, comme le disait Stengers, une politique extérieure « au sens classique du mot, est précisément ce que la Belgique, à l’époque où nous nous situons, s’interdisait d’avoir », et que « les grandes orientations et les grandes décisions sont absentes »?1

« Troupes françaises à la frontière belge en 1870 », L’illustration européenne, 1870, n.14.

Ce postulat, adopté par nombre d’historiens, a longtemps tenu une place prédominante dans l’historiographie, et influence encore de nombreux auteurs.2 Or, si l’intégrité et l’inviolabilité du territoire belge sont garanties, les puissances ont négligé de signaler quelles sont exactement les limites imposées à la Belgique de par son statut de nation neutre, ce qui suscitera bien des interrogations dans le chef des dirigeants belges lorsqu’ils seront confrontés à des problèmes de sécurité nationale. Cette précision suppose toute une série de questions, déjà posées par Jacques Willecquet en son temps, et qui n’ont depuis lors qu’été sommairement étudiées : la Belgique peut-elle organiser son système de défense comme elle l’entend, ou doit-elle au contraire se renforcer et fortifier l’ensemble de ses frontières de manière impartiale ? Comment concilier le respect de sa constitution, très libérale pour l’époque, et ses obligations à l’égard de ses voisins conservateurs ? Jusqu’où s’étend sa liberté d’action en ce qui concerne sa politique économique et douanière ? Quel impact l’opinion publique, vigoureusement pacifiste et peu au fait des aléas de l’actualité internationale, a-t-elle dans les processus d’élaboration de ces différentes politiques ?3 En somme, comment la neutralité garantie dont jouit la Belgique a-t-elle influencé ses conceptions en matière de politiques étrangère et de sécurité ?

Force est de constater qu’en la matière, le chercheur se trouve dans une situation délicate, car si quelques travaux ont déjà abordé le rôle de la Belgique dans les crises qui ont émaillé le 19e siècle, et la place qu’elle occupe dans les intérêts des grandes puissances, aucun ne s’est réellement attardé sur la manière dont elle a pu concevoir sa politique étrangère au sein du concert européen ni sur les politiques de sécurité que celle-ci a mis en place.4 La Belgique est en effet, aux yeux des auteurs belges comme étrangers, souvent considérée comme un enjeu et non comme un acteur des relations internationales, et ce en raison de la dichotomie élaborée au congrès de Vienne de 1815 entre puissances de premier et de second ordre, qui a incité les historiens à se concentrer sur la politique étrangère des grandes puissances aux dépens des autres.5

La thèse de doctorat que nous menons à l’Université catholique de Louvain depuis octobre 2014, sous la direction du professeur Vincent Dujardin, se propose donc d’étudier cette problématique de la sécurité nationale dans la politique étrangère de la Belgique, et plus précisément pendant la période 1839-1870. Ces jalons historiques sont importants : 1839 voit la Belgique entrer officiellement dans le concert des nations, son existence étant enfin reconnue par les Pays-Bas via le traité des XXIV articles ; alors que 1870 marque la chute du Second Empire lors de la guerre franco-allemande, qui a miraculeusement épargné la Belgique, alimentant pour plusieurs décennies l’illusion que le système de neutralité garantie est un rempart indestructible face aux menaces et velléités extérieures.6 Cette période est décisive à plus d’un titre pour la Belgique, car le jeune État ne peut encore compter sur de solides assises historiques et institutionnelles pour s’imposer auprès de ses voisins, et voit ainsi son existence remise en question à plusieurs reprises, que ce soit pour des raisons purement impérialistes (la France de Napoléon III ne rechignerait pas à s’approprier la petite Belgique), ou pour des motifs plus politiques et idéologiques (les puissances conservatrices craignent que la Belgique serve de base de repli aux mouvements libéraux qui se développent partout en Europe).

« Garde d’une voie ferrée, septembre 1870 », collection privée, Nicolas Mignon.

Cette problématique des questions de sécurité nationale suppose de recourir à un certain nombre de concepts théoriques empruntés aux sciences sociales et politiques, et de voir quelle plus-value ils peuvent apporter à l’histoire de la Belgique et des relations internationales. L’étude des concepts de sécurité, de menace et de peur, regroupés au sein des « security studies », bénéficie en effet d’une bibliographie florissante, qui a récemment connu une rénovation conceptuelle menée par l’École de Copenhague.7 Les concepts et domaines de recherche étudiés par cette dernière, notamment la notion de sécurité sociétale, le processus de sécurisation, et l’influence de l’opinion publique sur les politiques sécuritaires apportent ainsi de nouveaux éclairages sur la situation originale de la Belgique au 19e siècle. Le concept de « sécurité » en lui-même, pose en soi déjà question : s’agit-il d’un sentiment qui relève du domaine de la perception subjective ou d’un concept qui possède un niveau objectif et, par conséquent, un potentiel analytique pour les historiens ?8 Il importe également de souligner que la sécurité – et le besoin de sécurité – ne sont pas des concepts statiques, mais qu’il s’agit de constructions sociales largement tributaires de formes d’identité et de rapports à l’altérité.9 Le concept de « peur », en tant que dérive directe du sentiment d’insécurité, est ici central.10 Confrontées au cas d’application belge, ces questions nous incitent à nous attarder sur la manière dont le « processus de sécurisation », très proche de ces constructions d’identité et d’altérité, peut rapprocher ces dernières des processus politiques menés par l’État, et être utilisé de manière à stimuler le sentiment national, notamment lors des crises qui ne manquent pas d’animer la scène internationale et affectant de près ou de loin la Belgique, particulièrement après l’arrivée au pouvoir de Napoléon III.11

« Expédition de Risquons-Tout (29 mars1848) », illustration publiée dans Histoire populaire contemporaine de la France, t.2, Paris, Lahure, 1865.

La nature des menaces qui pèsent sur la Belgique, et qui entrent dans le domaine d’application de ses politiques de sécurité, doit également être revue. Plusieurs facteurs jusque-là délaissés entrent dorénavant en compte : le poids de la culture, de la langue, de la religion, de la morale et des représentations ; tout ce qui a trait non pas à la puissance brute d’un État, mais à son pouvoir d’influence sur les pays voisins, et à l’image que celui-ci en donne à l’extérieur et à l’intérieur de ses frontières, ainsi que la perception qu’en ont ses alliés et adversaires. Longtemps cantonnées aux questions militaires et économiques, les « security studies » supposent donc aujourd’hui une approche élargie du concept de menace, impliquant également un examen de la perception que les gouvernants et les populations ont de ces menaces.

Outre ces aspects résolument novateurs, on ne sous-estimera pas non plus l’importance de questions plus traditionnelles, telles que le rôle des acteurs et des personnalités qui ont marqué la période, l’influence respective des différents lieux de pouvoir du pays, ou encore la place occupée par l’opinion publique dans la prise de décision politique. En somme, nous étudierons la manière dont le sentiment d’insécurité se manifeste, comment et par qui il est relayé au sein du pays, quels sont les éléments considérés comme dangereux pour la sécurité de la Belgique, comment ces menaces ont été perçues par l’opinion publique et les autorités, et quelles sont les politiques qui ont été mises en place pour y faire face.

- Christophe Chevalier

Referenties

  1. Stengers, Jean, « Le cas de la Belgique » in Opinion publique et politique extérieure. Colloque organisé par l’École française de Rome et le Centro per gli studi du politica estera e opinione publica de l’Université de Milan. Rome, 13-16 février 1980, t.1 : 1870-1915, Rome, École française de Rome, 1981, p. 29.
  2. Coolsaet, Rik, België En Zijn Buitenlandse Politiek 1830-2015, Louvain, Van Halewyck, 2014, l’ouvrage le plus récent et parmi les plus complets en ce qui concerne la politique étrangère de la Belgique, ne fait pas exception.
  3. Willequet, Jacques, « La politique étrangère : un bilan historiographique », in Revue de l’Université de Bruxelles, n° 1-2, 1981, p. 158.
  4. Outre l’ouvrage de Rik Coolsaet déjà cité, on se tournera en priorité sur Lademacher, Horst, Die belgische Neutralität als Problem der europäischen Politik : 1830-1914, Boon, Röhrscheid, 1971, qu’on complètera avec Lademacher, Horst, « Belgien als Objekt und Subjekt europäischer Außenpolitik » in Revue belge d’Histoire contemporaine, vol.35, n° 4, 2005, pp. 457-502. Citons également De Vos, Luc et Rooms, Étienne, Het Belgisch buitenlands beleid : geschiedenis en actoren, Louvain, Acco, 2006 ; Helmreich, Jonathan, Belgium and Europe. À study in small power diplomacy, La Haye, Mouton, 1976 ; Thomas, Daniel, The Guarantee of Belgian Independence and Neutrality in European Diplomacy, 1830’s-1930’s, Kingston, University of Rhode Island, 1983.
  5. Coenraad Tamse, dans son article fondamental sur le rôle des petits États dans la politique internationale des années 1860, déclare qu’« It is remarkable that the dichotomy introduced in 1815 still often leaves an imprint on the historiography of nineteenth-century international relations. This history-writting describes after all principally the diplomacy of the first-rate countries, while it only alludes to the foreign policy of the States of the second order after the Congress of Vienna when such policy causes a European crisis ». Tamse, Coenraad Arnold, « The Role of Small Countries in the International Politics of the 1860s : The Netherlands and Belgium in Europe » dans Acta Historiae Neerlandicae : Studies on the History of the Netherlands, La Haye, Martinus Nijhoff, 1976, t.9, pp. 143-169. On citera aussi, du même auteur, mais antérieur à cet article : Tamse, Coenraad Arnold, Nederland en Belgïe in Europa (1859-1871) : de zelfstandigheidspolitiek van twee kleina staten, La Haye, Martinus Nijhoff, 1973.
  6. Raxhon, Philippe, « Léopold II, un roi déterminé face à la guerre franco-allemande de 1870 » in Dujardin, Vincent, Rosoux, Valérie et De Wilde, Tanguy (dir.), Léopold II, entre génie et gêne : politique étrangère et colonisation, Bruxelles, Racines, 2009, pp. 105-125.
  7. Parmi les nombreux travaux de cette École, on citera en guise « d’amuse-bouche » : Buzan, Barry et Waever Ole (dir.), Security. A New Framework for Analysis, Boulder, 1998 ; Buzan, Barry et Hanse, Lene, The Evolution of International Security Studies, Cambridge, Boulder, 2009 ; Weaver, Ole, « Peace and Security. Two Evolving Concepts and Their Changing Relationship » in Brauch, Hans Günter (e.a.), Globalization and Environmental Challenges, Berlin, 2008, pp. 99-111.
  8. Cette question suscite encore aujourd’hui de nombreux débats parmi les politologues : Balzacq, Thierry, « Qu’est-ce que la sécurité nationale ? », in Revue internationale et stratégique, n° 52, 2003/4, pp. 33-50 ; Zwierlein, Cornel, « Sicherheitsgeschichte. Eine neues Feld der Geschichtswissenschaften », in Geschichte und Gesellschaft, n° 38, 2012, pp. 365-386.
  9. Daase, Christopher, « Die Historisierung der Sicherheit. Anmerkungen zur historischen Sicherheitsforschung aus politikwissenschaftlicher Sicht », in Geschichte und Gesellschaft, n° 38, 2012, pp. 387-405 ; McDonald, Matt, « Securitization and the Construction of Security », in European Journal of International Relations, n° 14, 2008, pp. 563-587.
  10. La philosophie politique nous apporte ici un éclairage bienvenu : Robin, Corey, Fear : History of a Political Idea, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  11. Il nous a été permis de lever une partie du voile recouvrant ce sujet dans un article devant prochainement être publié : Chevalier, Christophe, « La réception du Traité de Turin de 1860 en Belgique – Une effervescence patriotique aux enjeux sécuritaires » in Relations internationales.