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Vanacker, Daniël (éd.), Journal d’une bourgeoise, 1914-1918 : Marguerite Giron, préface de Kenneth Bertrams, Bruxelles, éditions de l’Université de Bruxelles, 2015, 419 p.

L’auteur Marguerite De Mot-Giron (1862-1927) définit son journal comme un acte de « protestation qui est, en même temps, non celle de mon peuple, mais de la moyenne classe bourgeoise à laquelle j’appartiens »1. gée de cinquante-deux ans au commencement de la Grande Guerre, Marguerite désirait témoigner du basculement brutal de sa vie « abritée, ouatée, artificiellement bonne »2 dans l’horreur de l’invasion puis dans l’incertitude de l’occupation. Les cahiers dans lesquels Marguerite notait régulièrement ses impressions n’étaient pas destinés à la postérité, à la manière des volumes publiés dès 1919 par les journalistes Louis Gille, Alphonse Ooms et Paul Delandsheere3, mais s’adressaient plus spécialement à ses deux fils engagés dans l’armée belge. Si Paul et René De Mot avaient la chance de revenir sains et saufs du front, ces notes constitueraient un vibrant témoignage de la souffrance ressentie par leur mère pendant leur absence.

De façon étrange, les écrits de Marguerite ne contiennent en revanche que de très rares allusions aux activités de son mari André De Mot, qui vivait pourtant quotidiennement à ses côtés. Cette bizarrerie n’a pas été élucidée par l’éditeur du journal Daniël Vanacker ; elle demeure à ses yeux un mystère. En dehors de sa profession d’avocat à la Cour d’appel de Bruxelles, André De Mot était l’administrateur de la Meunerie bruxelloise, fondée par son père, et titulaire de divers portefeuilles d’action dans des sociétés établies en Belgique et dans le nord de la France. Le couple De Mot battait-il de l’aile ? Il est plus raisonnable de penser qu’André avait imposé à sa femme un silence de circonstance sur ses activités quotidiennes. On ne peut que le déplorer tant on connaît les carences de l’historiographie belge sur l’attitude des milieux économiques à l’égard de l’occupant4. Le journal confirme tout au plus ce que les historiens belges de la Grande Guerre savaient déjà : le ralentissement général des activités économiques et administratives et le blocus économique allié touchèrent de plein fouet la classe laborieuse et la petite bourgeoisie, qui furent « très à plaindre »5 dès l’hiver 1915-1916. Quant à la bourgeoisie fortunée, refusant généralement de collaborer, elle fit le « gros dos » en réservant une partie de plus en plus importante de son capital à la nourriture, aux vêtements et aux stocks de charbon ou de bois de chauffage. Sur le plan sociologique, la guerre contribua à faire se rapprocher les différentes strates de la société belge. Les multiples activités charitables dans lesquelles Marguerite s’investissait accroissaient paradoxalement ses scrupules : « Nous sommes rationnés en tout, nourriture, vêtements, éclairage, lessive combustible, chaussures, et nous comprenons de combien d’inutilités était encombrée la vie des gens aisés. L’essentiel nous reste, à nous, privilégiés »6. Ses mentions récurrentes du prix des principales denrées alimentaires et ses fréquentes comparaisons avec les conditions de vie de la population bruxelloise constituent un des aspects les plus intéressants de son journal.

Un autre point fort de cette publication est la période couverte par l’auteur. Le journal débute le 25 juillet 1914 et se termine peu de temps après la joyeuse entrée des souverains à Bruxelles le 22 novembre 1918. Cette couverture complète de la période de guerre est suffisamment rare pour être saluée. Elle doit néanmoins nous inciter à une certaine prudence car, nous avertit l’éditeur, il est manifeste que les premiers jours du conflit ont fait l’objet d’un travail de réécriture en vue d’accentuer le contraste entre la période de paix et la période de guerre. On l’a bien compris, le souhait de Marguerite n’était pas tant de faire œuvre d’historienne que d’adjoindre de la chair et une âme au squelette des événements historiques dont elle était devenue la spectatrice désabusée. Pendant toute la durée des hostilités, son inquiétude maternelle fut constamment sur le qui-vive, attisée par l’annonce de nouveaux morts ou de portés disparus dans le cercle familial et plus largement dans le cercle de ses connaissances bruxelloises. Par contraste, Marguerite avait bien conscience de la chance qu’elle avait de recevoir régulièrement des nouvelles de ses fils toujours vivants. Et lorsque le courrier se faisait attendre, les petites annonces parues dans la presse internationale lui permettaient malgré tout de maintenir le contact avec le « monde libre ». Le fossé est ici saisissant entre sa situation et celle du petit peuple belge, qui ne pouvait se permettre d’acheter clandestinement le Times, de deux à huit francs le numéro, lorsque quelques sacs de pommes de terre se négociaient au même prix. Les tentatives désespérées de la belle-fille de Marguerite pour obtenir un passeport afin de rejoindre son époux en France – couronnées de succès en juin 1917 – lèvent également le voile sur certains privilèges et passe-droits dont jouissaient les familles aisées auprès des officiers allemands présents à Bruxelles.

D’un point de vue formel, le journal est accompagné d’une bonne introduction et d’une édition critique. Nous avons particulièrement apprécié l’identification des soldats belges réalisée à l’aide des dossiers militaires conservés au Musée Royal de l’Armée. Les faits saillants de la vie bruxelloise pendant l’occupation sont eux-mêmes bien remis en contexte grâce à l’utilisation des principaux ouvrages parus sur le sujet. Au niveau de la « Grande Histoire », les esprits chagrins regretteront peut-être que certains événements internationaux n’aient pas été davantage commentés. Quoi qu’il en soit, il faut convenir avec l’éditeur qu’une telle tâche aurait été titanesque car Marguerite commentait l’actualité presque quotidiennement. Plus qu’un simple dialogue à distance avec ses fils, son journal était en effet le lieu d’expression privilégié de sa vindicte à l’égard de l’ « agresseur teuton » et de sa Kultur scientifique abhorrée, si éloignée à ses yeux de la finesse de la « civilisation latine ». Daniël Vanacker note avec raison que le journal de Marguerite Giron est à cet égard un modèle du genre. Si on le compare avec le journal de Constance Ellis7, qui revendiquait à la même époque ses origines cosmopolites et une opinion détachée de toute forme de chauvinisme, Marguerite représente a contrario la tendance jusqu’au-boutiste de la bourgeoisie bruxelloise. Servie par une plume hautaine et lyrique, plus d’une fois trempée dans le fiel, elle méprisait systématiquement tout ce qui venait d’Allemagne. Cette disposition d’esprit s’accompagna pendant toute la guerre d’un désir inextinguible de voir l’orgueilleuse Germania se faire imposer une paix humiliante par les Alliés. Passée maître dans l’art de contourner les réquisitions des « Bochons », elle prenait bien garde toutefois de ne pas révéler dans ses écrits la cachette de ses cuivres, de ses vivres ou l’adresse de ses fournisseurs. Extrapolant sans doute quelque peu l’importance de ses notes et s’inventant des talents d’espionne, Marguerite dissimula tous les cahiers de son journal, lorsqu’ils étaient remplis, dans tel ou tel recoin secret de sa propriété.

Le journal fut quelque peu remanié par l’auteur au sortir de la guerre, en vue de le rendre plus lisible et de révéler certains de ses bons tours joués aux Allemands. L’on sait en effet que Marguerite adressa un exemplaire dactylographié à Henri Pirenne, peut-être en vue d’une publication ultérieure qui n’advint jamais. Conservé pieusement par la famille, le tapuscrit fut finalement photocopié et versé au Liberaal Archief de Gand en 1990. C’est sur base de cette photocopie que fut édité et publié le journal de Marguerite Giron, paru en 2015 aux éditions de l’Université de Bruxelles, dans la collection « Histoire ». Un témoignage exceptionnel qui mérite assurément de figurer parmi les sources de référence relatives à la vie de la bourgeoisie pendant la guerre 14-18.

- Christophe Bechet

Referenties

  1. Journal, 13 mai 1915, p. 142.
  2. Journal, 6 février 1915, p. 114.
  3. Gille, Louis ; Ooms, Alphonse et Delandsheere, Paul, Cinquante mois d’occupation allemande, 4 volumes, Bruxelles, Albert Dewit, 1919.
  4. Deloge, Pascal et Péters, Arnaud, L’économie liégeoise sous l’occupation allemande en 1914-1918, in: Maréchal, Christine et Schloss, Claudine (dir.), 1914-1918 : Vivre la guerre à Liège et en Wallonie, Alleur, éditions du Perron, 2014, p. 205.
  5. Journal, 6 novembre 1915, p. 185.
  6. Journal, 1er juin 1917, p. 304.
  7. De Schaepdrijver, Sophie (éd.), ‘We who are so cosmopolitan’. The War Diary of Constance Graeffe, 1914-1915, Bruxelles, AGR, 2008.