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La mémoire du génocide tutsi: une porte d’entrée pour explorer la sociabilité rwandaise pré et post-génocide

Florence Rasmont, boursière FRESH/FNRS

Chaque année durant trois mois, des millions de Rwandais assistent aux cérémonies de commémorations du génocide à divers niveaux : aux activités officielles, à la cérémonie du secteur administratif, dans les communautés religieuses, au sein des familles, et même au sein des entreprises, des écoles et des prisons. Le phénomène s’est amplifié depuis la fin de la période de transition politique en 2003, si bien qu’il serait impossible de nier son caractère massif et public. Comment et pourquoi une telle économie mémorielle ? C’est, en somme, la question générale à laquelle tente de répondre mon projet de thèse de doctorat.

Mémorial du génocide, secteur de Muyumbu, Province de l’Est

La plus-value d’un tel sujet de recherche ne va pas de soi, au regard de tout ce qui a déjà été produit sur les questions de mémoire dans d’autres contextes, et notamment dans le contexte rwandais. Le thème déclenche autant de passions qu’il existe de perspectives pour l’aborder. Aussi, situer le choix du thème de la mémoire dans son contexte historiographique tient de la gageure et pourrait facilement devenir un exercice scolaire, si l’on s’en tenait à retracer sa genèse au travers de ses représentants les plus classiques. L’originalité d’un tel projet n’a de sens que si l’on considère le contexte historique récent qui a mené à la rencontre entre la grande nébuleuse des travaux sur la mémoire et l’historiographie propre au Rwanda. La faisabilité d’un tel sujet, qui plus est pour un historien, est en réalité assez récente pour plusieurs raisons.

Premièrement, il faut considérer le contexte historique de l’évolution de la recherche au Rwanda. Jusqu’au génocide, l’étude du Rwanda était le terrain quasi exclusif des intellectuels rwandais et de spécialistes occidentaux « africanistes » en grande partie francophones.1 Le génocide de 1994 représente une réelle rupture de ce point de vue. Le Rwanda devint le terrain d’une scène académique plus internationale et diversifiée. L’intérêt pour le Rwanda passait désormais par le génocide, la guerre, et surtout, les défis économiques et judiciaires de la reconstruction.2 Du côté des historiens, le Rwanda attira l’attention de spécialistes des conflits mondiaux.3 Cet intérêt est relativement récent et s’est peu traduit par des publications. Il s’illustre autrement, notamment par la participation de ces historiens en tant qu’expert historique dans les procès pour génocide,4 à des colloques sur le sujet, ou par leur promotion de jeunes chercheurs sur le Rwanda. L’intérêt pour le Rwanda et son « expertise » ont donc considérablement évolué. Ce phénomène académique participe à faire dialoguer le cas du Rwanda dans un ensemble plus large de travaux sur les guerres, les crimes contre l’humanité, et la justice internationale en Occident. Ma propre recherche sur la formation de la mémoire du génocide des Tutsis s’inscrit bien évidemment dans cette jeune tendance.

Deuxièmement, le contexte historique a également favorisé une meilleure accessibilité des sources écrites. La stabilisation politique du Rwanda a contribué à rendre accessibles de nombreuses archives. L’État rwandais ne s’étant pas encore doté de lois pour limiter la consultation de ces dernières dans le temps, la période post-génocide devient, elle aussi, un terrain explorable pour les historiens. Pour la première fois, de jeunes historiens interrogent l’évolution de la mémoire et la conception du passé sur base, entre autre, d’archives écrites.5 Ma recherche s’est, là encore, inspirée de cette tendance très récente et originale, au vu du grand nombre de travaux réalisés sur base d’enquêtes orales au Rwanda. Dans mon cas, j’ai sélectionné les archives des anciens « pôles mémoires » des successifs ministères de la Culture, archivés depuis 2008 à la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, et des archives communales archivées depuis la dernière réforme administrative de 2006. De ce point de vue, ma recherche articule une perspective officielle et nationale, avec une perspective plus locale et sociale, de par mes recherches sur des sites de massacres à l’est de Kigali. Je tiens à préciser que j’ai également effectué de nombreux entretiens oraux.

Au-delà du contexte historique, il est également nécessaire de faire le point sur la façon dont la dimension mémorielle du génocide tutsi est abordée dans la littérature scientifique. La mémoire du génocide tutsi a donné lieu à de nombreux commentaires et travaux envisagés selon différentes perspectives. Nous pouvons identifier deux grandes tendances. Ils font écho aux paradigmes habituels avec lesquels la mémoire est abordée.

La première tendance rassemble un grand nombre d’articles qui abordent la dimension politique de la mémoire du génocide. Ils sont plus souvent l’œuvre de politologues et de sociologues. Par « mémoire », ces travaux entendent traiter de la politique mémorielle mise en place par le gouvernement rwandais.6 En évaluant la violence du dispositif, sa pertinence ou son efficacité, ces réflexions sont souvent caractérisées par un ton prescriptif. À bien des égards, ce type d’analyse renvoie à une conception de la mémoire très présente dans les préceptes de la justice transitionnelle. Elle est envisagée comme un outil à part entière pour la reconstruction « morale » d’un pays en sortie de crise. Si ces travaux ont le mérite de soulever les limites d’une telle conception de la mémoire, sa violence ou ses implications au sein de la population, ils restent souvent de l’ordre du bilan et ne répondent pas à la question du comment. La récurrente opposition qui en ressort, entre une mémoire politique et officielle, l’action d’un « État omnipotent », et la pluralité des mémoires individuelles, ne fait que nourrir un constat que l’on ne connaît trop bien. En outre, mes premières recherches dans les archives des institutions officielles de mémoire ont assez vite déconstruit l’image de cet « État omnipotent », en documentant la précarité des institutions officielles de la mémoire dans les premières années après le génocide. Le développement de la mémoire du génocide a au contraire profité de l’appui de nombreux acteurs locaux et privés. En ce sens, le développement de la mémoire du génocide permet d’interroger plus en profondeur des phénomènes sociaux transversaux.

Un deuxième ensemble de travaux aborde la dimension mémorielle dans une perspective moins politique, plus proche des questions de traumatisme, de transmission et de récits individuels. Dans cet ensemble se trouvent de nombreuses analyses de la littérature testimoniale.7 S’y classent également des travaux à orientation psychiatrique et psychologique, notamment ceux abordant le phénomène des traumatismes individuels et collectifs.8 Ces travaux analysent souvent avec pertinence les défis de la santé mentale au Rwanda, la question des deuils individuels, la relation aux défunts et leur résonnance en terme collectif. Ils sont essentiels pour envisager les conséquences du génocide à travers ses aspects les plus sociaux, ne serait-ce que pour interroger la notion même de souffrance et de victime. Les approches psychiatriques permettent parfois de concevoir la douleur et le deuil de façon beaucoup plus transversale que ne le fait l’analyse politique. Néanmoins, ce type de travaux nous informent rarement sur l’articulation entre la dimension traumatique et la dimension politique de la mémoire du génocide, pourtant fondamentale dans le cas rwandais.

Commémoration du génocide et inhumation des victimes à la paroisse de Kaduha, Province de l’Ouest, 6 juin 2013

Dans le cadre de mon projet, je me suis inspirée de travaux de Marie-Claire Lavabre et Sarah Gensburger, partisanes d’une « sociologie de la mémoire ».9 Il s’agit de situer la nature du phénomène au travers des acteurs et des institutions qui ont participé à son évolution. Ce choix méthodologique a également été motivé par les travaux de l’historien Rémi Korman, dont le projet de thèse documente concrètement les coulisses de la politique de mémoire nationale au Rwanda.10 Ce parti-pris n’est positiviste qu’en apparence. Il m’a offert l’opportunité d’interroger plus pratiquement l’action d’individus et d’institutions sans passer par les concepts « d’État », « d’armée » ou même de « société civile ». C’est un choix méthodologique qui convient particulièrement bien à l’étude d’une période de conflit et de sa sortie, où toutes ses sphères sont très poreuses entre elles. En réalité, c’est cette ambiguïté structurelle qui permet d’interroger la diffusion progressive de la mémoire du génocide jusque dans les campagnes.

Public de la commémoration nationale du génocide, 7 avril 2003, secteur de Mwulire, Est du Rwanda. Archives de la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, Kigali

Afin d’analyser l’articulation entre les institutions officielles et les acteurs locaux, j’ai travaillé sur une zone géographique restreinte, privilégiant une approche micro-historique. J’ai élu plusieurs mémoriaux et lieux de commémorations situés à l’est de Kigali. Ces derniers ont servi de porte d’entrée pour comprendre la dynamique qui avait donné lieu à leur apparition.

Ce parti-pris permet d’interroger le phénomène mémoriel en remontant au-delà du génocide, point qui me semble proposer une perspective neuve par rapport à l’ensemble de la littérature existante. La promotion du mémorial doit en effet s’envisager dans la continuité de la période qui précède le génocide. Analyser le parcours des acteurs locaux permet alors de sonder des processus sociaux endogènes qui transcendent la rupture imposée par le génocide.

- Florence Rasmont

Referenties

  1. On trouve un classement commenté de cette littérature dans d’Hertefelt, Maurice & de Lame, Danièle, Société, culture et histoire du Rwanda. Encyclopédie bibliographique 1863 – 1980/1987 (Tervuren: MRAC, 1987).
  2. Un aperçu de la littérature récente sur le Rwanda est disponible dans Lagarde, François, Rwanda 1990-2011. Une bibliographie (Austin: University of Texas, 2012), accessible en ligne sur le dépôt de l’Université du Texas, https://repositories.lib.utexas.edu/handle/2152/15587Il, dernière consultation le 10 août 2016. Il existe une actualisation de cette bibliographie en 2013 et 2014.
  3. L’exemple le plus frappant est le cas de l’historien français Stéphane Audoin-Rouzeau, spécialiste de la première guerre mondiale, qui est à l’origine de l’émergence d’un groupe de chercheurs sur le génocide des Tutsis à l’EHESS. Attentifs à la pratique des violences selon l’héritage historiographique de l’école de Péronne, plusieurs historiens et anthropologues se sont spécialisés sur le génocide tutsi sous sa direction: Dumas, Hélène, Le génocide au village. Le Massacre des Tutsi au Rwanda (Paris: Editions du Seuil, 2014). Plusieurs thèses sont en cours : Baraduc, Violaine, Crimes féminins pendant le génocide des Tutsi rwandais. Logiques et stratégies de reconstruction d’une parole coupable entre enjeux carcéraux, politiques et mémoriels; ainsi que celle de Korman, Rémi, La construction de la mémoire du génocide des Tutsi. Etude des processus de mémorialisation.
  4. Jacques Sémelin, historien de la violence de masse (CNRS), Stéphane Audoin-Rouzeau (EHESS) et Hélène Dumas, historienne des pratiques de violence au Rwanda (CNRS), furent tous les trois experts aux procès pour génocide à la cour d’assises de Paris en 2014 et 2016 (Procès Simbikangwa et Ngenzi/Barahira).
  5. Korman, Rémi, op.cit; Mosely, Erin, The Future of Rwanda’s Past: Transitional Justice, Archival Practice, and the Remaking of History after Genocide, thèse en cours dont le projet est décrit sur le site du département d’histoire africaine et afro-américaine de l’Université de Harvard : http://aaas.fas.harvard.edu/people/erin-elizabeth-mosley, dernière consultation le 10 août 2016.
  6. Entre autres : King, Elisabeth, « Memory Controversies in Post-Genocide Rwanda: Implications for Peacebuilding », in : Genocide Studies and Prevention: An International Journal, 5:3 (2010): Article 6, disponible en ligne :http://scholarcommons.usf.edu/gsp/vol5/iss3/6, dernière consultation le 10 août 2016 ; Vidal, Claudine, « La commémoration du génocide au Rwanda. Violence symbolique, mémorisation forcée et histoire officielle », dans : Cahier d’Etudes africaines, XLIV (3), 175, (2004): pp.575-592 ; Rosoux, Valérie, « La gestion du passé au Rwanda. Ambivalence et poids du silence. », dans : Remacle, Éric, Rosoux, Valérie, Saur, Léon (dir.), L’Afrique des grands lacs, des conflits à la paix ? (Bruxelles, Peter Lang, 2007_, pp.97-118 ; Ndushabandi, Éric, La politique de la mémoire au Rwanda après le génocide de 1994 : étude du dispositif Ingando, thèse de doctorat de la faculté de sciences économiques, sociales et politiques, FUSL, 2013.
  7. Etant dans l’impossibilité de citer l’ensemble des travaux, je renvoie le lecteur aux 57 entrées relatives au sujet dans la bibliographie de Lagarde, François, op.cit., pp. 36-39.
  8. Entre autres : Gishoma, Darius, et Brackelaire, Jean-Luc, « Quand le corps abrite l’inconcevable : Comment dire le bouleversement dont témoignent les corps au Rwanda ? », dans : Cahiers de psychologie clinique, 30:1 (2008): pp.159-183 ; Munyandamutsa, Naasson, « Créer pour acquérir une existence face à l’autre : la tenacité de la mémoire des exclus », dans : Les temps modernes, 4 (2014): pp.264-270.
  9. Voir entre autres, Gensburger, Sarah et Lavabre, Marie-Claire, « Entre “devoir de mémoire” et “abus de mémoire”: la sociologie de la mémoire comme tierce position », dans : Müller, Bertrand, Histoire, mémoire et épistémologie. A propos de Paul Ricoeur (Payot-Lausanne, 2005), pp.76-95.
  10. Korman, Rémi, et Dumas, Hélène, « Espaces de la mémoire du génocide des Tutsis du Rwanda. Mémoire et lieux de mémoire », dans : Afrique Contemporaine, 238:2 (2011).